Recension de Gérard De Coninck, docteur en criminologie,
Université de Liège, ancien directeur de prison, à paraître dans le Revue
canadienne de criminologie et de justice pénale et dans la
Revue de Sciences criminelles et de droit pénal comparé.
A propos du dernier livre de Pierre V.
Tournier, Naissance de la contrainte
pénale. Sanctionner sans emprisonner, Préface de Pierre Pélissier, L’Harmattan,
coll. Criminologie », 2015, Volume 1. Genèse (226 p.), Volume 2. Archives
(221 p.)
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Le premier volume retrace la genèse de
cette loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité
des sanctions pénales. La contrainte pénale « constitue une peine spécifique de
probation, destinée à prévenir de façon efficace la commission de nouvelles
infractions par le condamné en favorisant la désistance de ce dernier »
(Circulaire de la Garde des Sceaux, 26 septembre 2014, in Volume 2, p. 185).
Retraçant toutes ses démarches et
recherches scientifiques à partir de 2006, l'auteur met en évidence les
principaux acteurs déterminants dans ce parcours, les enjeux, les
collaborations et les obstacles rencontrés mais surtout sa propre ténacité. Au
fondement de ses démarches, il faut relever des convictions de plus en plus
fortes qui peuvent être synthétisées comme suit : il faut remplacer l'idée de
la peine-souffrance par l'idée de peine-contrainte (nouvelle probation) ; la
référence ne doit plus être la prison mais la contrainte en communauté où le
condamné est responsable et les citoyens appelés à s'impliquer ; il faut en
revenir à une structure des peines simple et cohérente et « disposer, pour
sanctionner les délits, d'un triptyque constitué de l'amende, de la contrainte
pénale (appliquée dans la communauté) et de l'emprisonnement, les sanctions
dites, au sens large, alternatives à la détention étant supprimées (et en
particulier le Sursis avec mise à l'épreuve) » (p. 65) ; les prisons doivent
avoir une taille humaine (pas plus de 200 cellules) et chaque détenu doit
disposer d'une cellule individuelle (un moratoire existe et la date butoir est
fixée au 31 décembre 2019) ; en cas de non-respect des obligations, il faut d'abord
penser à des contraintes plus fermes même si la loi prévoit toujours que lors
du jugement le juge doit fixer la durée maximale de l'emprisonnement encouru.
Toutes ces idées font appel à la fois à sa
longue expérience de traitement des statistiques pénales et pénitentiaires en
France et au Conseil de l'Europe, mais également aux expériences étrangères (la
probation en Grande-Bretagne) et à l'appui de spécialistes de pays où la «
nouvelle probation » est mise en application comme en Suède (Norman Bishop). En
tant qu'acteur principal de ce combat pour transformer la réalité, PV. Tournier
a été mêlé à tous les travaux de recherches et échanges impliquant aussi bien
des groupes de chercheurs que des parlementaires et responsables des ministères
de la Justice et de l'Intérieur, ce qui lui a permis de retenir et comparer
trois modèles différents touchant aux modalités d'application de la contrainte
pénale mais aussi à la « libération sous contrainte (non plus «conditionnelle
»), automatique ou à temps : son modèle personnel, celui présenté par le groupe
de Créteil 2012 et celui du député Dominique Raimbourg fort apprécié et proche
des idées de l'auteur, sans compter celui ressortant de la Conférence de
Consensus. C'est Françoise Tulkens qui présenta les conclusions de cette
Conférence de Consensus dont la radicalité des idées semble avoir dérangé le
ministre de l'Intérieur de l'époque (Manuel Valls) mais aussi PV. Tournier à
qui F. Tulkens aurait balayé « en très peu de mots, tout ce que j'avais pu
développer : Tu sais bien Pierre que la prison n'est pas réformable. La messe
était dite (…) la personnalité de l'ancienne vice-présidente de la Cour
européenne des droits de l'homme n'était évidemment pas en cause, ni ses compétences,
ni ses qualités humaines (...). Mais ses positions radicales sur la prison
risquaient de réduire la légitimité des recommandations que le jury pourrait
présenter » (p. 87).
On le devine aisément, les points de
controverses furent nombreux depuis la présentation des 77 propositions
présentées par PV. Tournier en juillet 2006 et les chemins parcourus
empruntèrent à la fois des avenues larges, en compagnie de nombreux citoyens de
tous bords, et des chemins étroits, voire intimes avec quelques personnalités
(ministres et parlementaires) mais permettant avec plus d'efficacité d'aboutir
à la destination voulue. Dans ces cheminements, l'auteur nous dévoile toutes
les arcanes et tous les aspects cachés ou inconnus de la création d'une loi,
mais également la valeur des relations humaines basées sur la confiance. Si le
premier volume nous donne à voir le processus qui mena à cette loi, de manière
très personnelle et presque indiscrète (mais n'a-t-il pas raison de dire sa
vérité vécue ?), le second intitulé « archives » permet un réel
approfondissement des 26 documents auxquels l'auteur fait particulièrement
référence. Il nous semble donc qu'il s'agit là d'un travail important et
vraiment utile destiné à toutes les personnes intervenant au sein du monde judiciaire
et pénitentiaire. Au terme de cette lecture, nous ne pourrons plus oublier ce
que l'auteur répète souvent, à savoir « la formule choc reposant sur des
données statistiques issues de l'exploitation du casier judiciaire : La prison
est, pour les délits, la sanction de référence, sans l'être (importance des
sanctions avec sursis total), tout en l'étant (risque de révocation du sursis)
» (p. 64).
Gérard De
Coninck
Septembre 2015
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