LE COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE PUBLIE SES NORMES EN MATIERE D’ESPACE VITAL PAR DETENU DANS LES ETABLISSEMENTS PENITENTIAIRES
Par Jean-Manuel Larralde,
professeur de droit public à
l’Université de Caen-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)
La jurisprudence désormais bien connue de la Cour
européenne des droits de l’homme en faveur de la protection des personnes
privées de liberté ne peut à elle seule résumer la variété des actions menées en
la matière par le Conseil de l’Europe. Il est nécessaire de ne pas oublier le
travail effectué par le Comité contre la torture et les peines ou traitements humiliants
et dégradants (CPT). Etabli par la
Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants du 26 novembre 1987, ce Comité a pour
mission d’examiner « par le moyen de visites (…), le traitement des
personnes privées de liberté en vue de renforcer, le cas échéant, leur
protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou
dégradants » (art. 1er de la Convention). Le CPT visite
donc les prisons et les centres de détention pour mineurs, les postes de
police, les centres de rétention pour étrangers, les hôpitaux psychiatriques,
afin d'évaluer la manière dont les personnes privées de liberté sont traitées
et, le cas échéant, recommande aux Etats des améliorations à apporter[1].
Le contrôle opéré est un contrôle global, qui prend en compte les conditions
générales de détention dans les établissements visités, ce qui comprend tout à
la fois les locaux (espace dont disposent les détenus, éclairage, ventilation,
installations sanitaires, repas et literie...) que les conditions sociales
(relations avec les autres détenus et le personnel pénitentiaire, liens avec la
famille ou les proches, avec les travailleurs sociaux et avec l'extérieur en
général...), les soins de santé, les possibilités et conditions de travail. Le
régime juridique (existence ou non des garanties fondamentales contre les mauvais
traitements, notamment possibilité de déposer une plainte pour ces mauvais
traitements ou mauvaises conditions de détention...) fait également l’objet
d’une attention soutenue, comme les mesures prises à l’égard des populations
considérées comme à risques (mineurs, femmes, étrangers, toxicomanes...). La
qualification de traitement inhumain ou dégradant d’une détention par le CPT
résulte soit d'un élément spécifique, soit d'une combinaison de facteurs tels
que la surpopulation, l'absence d'installations sanitaires, ou encore un régime
alimentaire insuffisant. Le travail de cet organe non judiciaire et préventif
recoupe donc très largement la tâche de la Cour de Strasbourg lorsqu’elle est
saisie de recours visant à dénoncer des conditions de détention contraires à la
Convention européenne des droits de l’homme (et tout spécialement à son article
3 qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants).
Structure
opérationnelle, le Comité publie également ce qu’il appelle ses
« normes », qui constituent l’exposé de différents standards
thématiques[2], à
destination des Etats, afin de « préciser clairement et par avance aux
autorités nationales ses vues sur la manière dont les personnes privées de
liberté doivent être traitées et, plus généralement, inciter à la discussion en
ce domaine » [3]. Ainsi,
le CPT vient de publier le 15 décembre 2015 ses normes en matière d’« espace vital par détenu dans les établissements
pénitentiaires ». Dans ce
court document de 7 pages, le Comité rappelle que toute cellule individuelle
« devrait mesurer 6
m² auxquels on ajouterait la superficie nécessaire à une annexe sanitaire
(généralement d’1 à 2 m²) ». En
outre, la cellule « devrait mesurer au moins 2 m d’un mur à l’autre de
la cellule et 2,5 m du sol au plafond » (p. 3). Les cellules
collectives (pour 4 personnes maximum) doivent réserver au moins 4 m² à
chaque détenu, en ajoutant les 6 m² prévus pour une cellule individuelle
(p. 4)[4].
Ces conditions de détention voient, en outre, leur caractère inhumain et
dégradant renforcé lorsqu’elles se combinent à d’autres facteurs renvoyant à
l’état d’entretien et à la propreté, à l’accès
à la lumière du jour, à une aération et du chauffage, aux installations
sanitaires, ou encore aux activités en ou hors cellule (p. 7).
A
destination des Etats, ces normes sont également des éléments de référence pour
les juges strasbourgeois, qui ont pris l’habitude depuis la fin des années 1990
de s’appuyer sur les travaux du Comité[5]
dans les arrêts statuant sur des requêtes alléguant de mauvaises conditions de
détention[6].
Ainsi, dès qu’elle est confrontée à des cas de
« surpopulation sévère », la Cour aboutit automatiquement à un
constat de violation de l’article 3 de la Convention dès que l’espace estimé
souhaitable par le CPT n’est pas respecté[7]. Et lorsque la surpopulation n’est pas
« flagrante », la Cour prend en compte des éléments concrets tels que
la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération
disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage
et le respect des exigences sanitaires de base[8]. En s’appuyant sur les normes du CPT (ainsi que sur les
rapports de visite), les juges de Strasbourg renforcent le caractère concret de
leur jurisprudence. L’arrêt Ananyev et a.
c/ Russie du 10 janvier 2012, dans
lequel le constat de violation de l’article 3 de la Convention est effectué en rappelant
de manière très minutieuse les exigences du CPT (§§ 139 et s.), constitue ainsi
une décision typique de l’utilisation des ressources offertes par le Comité
pour la prévention de la torture. Le renvoi aux travaux du CPT permet, en
outre, de présenter des standards explicites aux Etats membres, qui peuvent
ainsi connaître les exigences européennes en matière de conditions de
détention, et anticiper les futures censures de la Cour de Strasbourg[9].
Jean-Manuel Larralde,
[1] Au 18 décembre 2015, le CPT a effectué 386 visites (230 visites périodiques + 156 visites ad
hoc) ; il a rendu publics 335 rapports. Source : http://www.cpt.coe.int/fr/apropos.htm
[2] http://www.cpt.coe.int/fr/documents/fra-standards.pdf
Concernant les prisons, les standards
concernent les conditions générales de l’emprisonnement, la surpopulation, les
relations entre le personnel et les détenus, les violences entre les détenus,
l’accès à la lumière du jour et à l’air frais, les maladies transmissibles, les
unités de haute sécurité, les détenus purgeant des longues peines, l’isolement,
les services de santé (pp. 19 à 51).
[4]
Soit pour 2
détenus : 10 m² au moins (6 m² + 4 m²) d’espace vital + annexe sanitaire ;
pour 3 détenus : 14 m² au moins (6 m² +
8 m²) d’espace vital + annexe sanitaire ; pour 4 détenus : 18 m² au moins
(6 m² + 12 m²) d’espace vital + annexe sanitaire.
[5] Voir, inter alia, l’arrêt Aerts c/ Belgique
du 30 juillet 1998.
[7] Voir, inter alia,
les arrêts Kantyrev c/ Russie, 21 juin 2007 ; Andreï Frolov c/ Russie, 29 mars 2007 ; Kadikis c./Lettonie, 4 mai 2006 ; Sulejmanovic c/ Italie, juillet 2009.
[8] Voir l’arrêt Torreggiani
et a. c/ Italie du 8 janvier 2013, § 69 (avec les références
jurisprudentielles pertinentes).
[9] Voir ainsi l’arrêt Canali c/
France, du 25 avril 2013 dans lequel la Cour rappelle que le CPT, dans son rapport
aux autorités françaises en 2003 (CPT/Inf (2004) 6, § 30), les avait déjà
invitées à « persévérer dans leurs efforts de désencombrement des
établissements [de Loos et Toulon] afin qu’au plus vite le taux d’occupation de
toutes les cellules de 9 à 11 m² se situe à un maximum de deux détenus » (§
48 de l’arrêt).
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