lundi 16 septembre 2013

VOUS AVEZ DIT "CONTRAINTE PENALE" ?


Deux ou trois choses que je voudrais entendre à propos de la contrainte pénale
(appliquée dans la communauté)…


    Projet de loi  relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, Art. 8.   « La peine de contrainte pénale consistera à imposer à la personne condamnée, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans, fixée par la juridiction, des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi adaptées à sa personnalité, destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, tout en respectant certaines obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité, les circonstances de l’infraction, ou la nécessité de protéger les intérêts de la ou des victimes. Ces mesures, obligations et interdictions seront déterminées, après évaluation de la personnalité de la personne condamnée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, par le juge de l’application des peines, dans des conditions et selon des modalités précisées par le code de procédure pénale. Elles pourront être modifiées au cours de l’exécution de la peine au regard de l’évolution du condamné ».

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Remarque 1. - La contrainte pénale ne concerne que les délits.  Il n’est donc pas question ici  de crimes : meurtre,  tortures,  violences  ayant entrainé  la mort sans l’intention de la donner, viol,  vol avec usage ou  menace d’une arme, vol en bande organisée, …


 Remarque 2. - Dans le projet de loi, la contrainte pénale ne concerne que les délits  pour lesquels la peine encourue est de 5 ans ou moins d’emprisonnement : par exemple, conduite en état alcoolique, coups et blessures volontaires avec ITT inférieure ou égale à 8 jours, avec circonstances aggravantes, coups et blessures volontaires avec ITT supérieure à 8 jours sans circonstance aggravante, conduite sans permis, défaut d’assurance (circulation routière), usage illicite de stupéfiants, conduite  malgré suspension  de permis, vol simple, conduite après usage de stupéfiant, outrage à agent  de la force publique, recel simple, …


Remarque 3. - Ne sont  donc pas concernés par la contrainte pénale les délits  pour lesquels la peine encourue est de plus 5 ans d’emprisonnement : par exemple, vol précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entrainé une ITT de 8 jours au plus (7 ans, Art. 311.5 du CP), agression sexuelle lorsqu’elle a entraîné une blessure ou une lésion, lorsqu’elle est commise  par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, lorsqu’elle est commise avec usage ou menace d’une arme … (7 ans, Art. 222-28 ), agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans (7 ans, Art. 222-29), importation ou exportation illicite de stupéfiants (10 ans, art. 222-36) … 


Remarque 4. - Une contrainte pénale, c’est un programme de contraintes qui « vise à préparer l’insertion ou la réinsertion du condamné afin de lui permettre de mener une vie responsable, respectueuse des règles de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions » (art. 11 du projet de loi). Tel est le sens qu’elle doit avoir au moment de son prononcé  et tout au long de son exécution.


Remarque 5. - Ce programme de contraintes devrait être défini en fonction des faits commis, de la personnalité du prévenu, de son parcours de vie, de son passé judiciaire  et surtout  (et ce sera nouveau) de l’environnement économique, social, familial, psychologique, dans lequel  ces contraintes seront vécues.


Remarque 6. - Par pragmatisme  et volonté de réussir  avec le condamné, la société  doit imposer un programme marqué d’une fermeté éclairée, c’est-à-dire volontariste, exigeant, mais « accessible ». Ne pas piéger le condamné en demandant l’impossible, ce qui ferait le succès de la récidive. Aussi les contraintes  doivent pouvoir être actualisées (renforcées ou allégées) tout au cours de la mesure.

 
Remarque 7.  - Les contraintes pourraient  être de 5 types :

Interdictions de quitter le territoire national, fréquenter tel lieu, telle personne (complice,  victime..), avoir  telle activité, conduire tel véhicule, …

Obligations  de traitement des addictions (alcool, stupéfiant, ..), aide psychologique, réparation des dommages, indemnisation des victimes, travail d’intérêt général (TIG), formation, …

Procédures de contrôle :  autorisation du juge de l’application des peines (JAP) en cas de changement de domicile, en cas d’absence de ce domicile d’une durée significative,    pointages réguliers au commissariat, rendez-vous réguliers avec l’agent  de probation, voire dans certains cas surveillance électronique et si besoin surveillance policière (renseignement), …

Prises en charge criminologique : stage de sensibilisation aux risques liés à l’usage de stupéfiants,  stage de citoyenneté, groupes de parole pour hommes violents ou en matière de délinquance au volant, groupes  animés par des  conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation  (CPIP) avec supervision d’un psychologue (en particulier  pour éviter les phénomènes d’emprise et surtout pour ne pas tomber dans la thérapie « à la petite semaine », chacun son métier. Rappelons que les CPIP n’ont pas besoin de l’étiquette de « criminologue »  pour affirmer leur identité professionnelle, mais d’une formation initiale  et continue en criminologie.         

Accompagnement encadré  par les CPIP vers les services sociaux de droit commun (aide sanitaire et sociale, hébergement, recherche de stage ou d’emploi…) ».  S’ils n’ont pas à être des « criminologues », les CPIP ne sont pas non plus des assistants sociaux. Là aussi chacun son métier.  


Remarque 8. - Les contraintes de chaque type doivent être nécessaires et suffisantes. La contrainte pénale n’autorise aucune naïveté de la part des acteurs judiciaires, mais, d’un autre côté, toute contrainte inutile a une forte probabilité de s’avérer contre-productive.    


Remarque 9. -  Comme il est précisé dans l’art. 19 de l’avant-projet : « Dans les trois ans suivant la publication de la loi, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur l’évaluation de la présente loi et spécialement sur la mise en œuvre de la contrainte pénale, afin de préciser dans quelle mesure cette peine pourrait se substituer à d’autres peines et notamment au sursis avec mise à l’épreuve ».


Remarque 10. -  L’objectif à long terme devrait être systématiquement rappelé : intégrer, dans  la contrainte pénale (pour les délits) les peines alternatives existantes : TIG, SME, SME-TIG, et aller, dans un souci de clarification, de lisibilité de l’échelle des peines pour nos concitoyens, d’efficacité, de légitimité de la justice pénale, vers le triptyque : Amende, Contrainte pénale et Emprisonnement.

Pierre V. Tournier

Bibliographie

Actualité juridique. Pénal, mars 2013, Dalloz, Dossier « Quelle nouvelle peine ?, avec des contributions de Pierre V. Tournier, Jean-Pierre Dintilhac,  Jean-Claude Bouvier, Martine Herzog-Evans, 20 p.

Bishop N., « Le concept de sanctions et mesures appliquées dans la communauté, communication au colloque du 6 octobre 2012 au Sénat, sur la contrainte pénale communautaire, organisé par DES Maintenant en Europe, Arpenter le champ pénal, n° 291, 15 oct. 2012.

Collectif, Conférence de consensus pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, principes d’action et méthodes, rapport du jury de consensus au Premier ministre, 20 févr. 2013, 38 p.

Collectif, Manifeste du 19 mai 2012, « Pour une peine juste et efficace » et texte « Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des droits », Groupe dit de Créteil, coordonné par Jean-Claude Bouvier et Valérie Sagant, magistrats.

Collectif, Appel du 1er  juin 2012 à l’attention du Gouvernement et du Parlement, « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement : Mettre au centre de l’échelle des peines « la contrainte pénale communautaire » (CPC), mis en ligne le 8 juin 2012 sur le site : leplus.nouvelobs.com/pierrevictortournier.

Cugno, A.,  « La recommandation du Conseil de l’Europe REC(2010)1 sur la probation, communication au colloque du 6 octobre 2012 au Sénat, sur la contrainte pénale communautaire, organisé par DES Maintenant en Europe, Arpenter le champ pénal, n° 291, 15 oct. 2012.

Raimbourg R. et S. Huyghe S., Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale, Assemblée nationale, Commission des lois, rapport d’information, n° 652, janv. 2013, 197 p.

Tournier PV. « Une nouvelle échelle des peines pour  la France, pour l’Europe ? », in Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elle, Publication de  DES Maintenant en Europe, 1er juillet 2006, 4-5.

---, « Une nouvelle échelle des peines », in Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, L’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, décembre 2007, 97-101.

---,  « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement. Mettre au centre de l’échelle des sanctions la contrainte pénale communautaire », Arpenter le Champ pénal, n° 250, 21 nov. 2011.

---, « La prison en première ligne ou en dernier ressort », in La prison : une nécessité pour la République, Buchet-Chastel, 2013, 217-228.

---, Prévenir la récidive ? Commencer par appliquer les recommandations qui font consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe sur les mesures et sanctions pénales, Paris, 15 février 2013, Auditions publiques de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive.

 ---, « La Politique pénale du Conseil de l’Europe : De la prison en première ligne à la prison comme  alternative, de dernier recours, aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté », Les Archives de politique criminelle, 2013, à paraître.