Choses lues, choses entendues cet été
Journées
d’été d’Europe Ecologie-les Verts, 23 août 2013, Christiane Taubira « le taux de récidive est de plus de 57% ».
France Info, 30 août 2013, La Garde des
sceaux affirme que « Le taux de récidive n'a cessé
d'augmenter de 2007 à 2012 ».
Le Monde, 30 août 2013, Interview
de François Hollande, « Les
peines planchers, je les ai contestées pour leur caractère automatique et leurs
conséquences. Non seulement elles sont contraires au principe
d'individualisation de la sanction, mais, loin d'empêcher la récidive, celle-ci a triplé de 2004 à
2011."
Le Monde, 3 septembre 2013. Edito
intitulé « Loi Taubira : le courage et la nécessité » :
« […] la
récidive dont le taux est passé de 8 % des condamnés en 2007 à 11,1 % en 2010.
En résumé : taux de récidive de 8 % en
2007, 11% en 2010, 57 % aujourd’hui ? Bigre, c’est effectivement explosif et …
invraisemblable. Cherchez l’erreur. Et
tout cela après des mois de travaux de la conférence dite de consensus sur la
prévention de la récidive et l’audition d’une multitude d’experts en tous
genres. Ne nous décourageons pas, continuons d’expliquer.
Désolé, c’est un peu technique,
mais vous non plus, ne vous découragez pas…
2
– Un taux peut en cacher un autre
TAUX. - L’approche quantitative du
champ pénal passe naturellement par le maniement de nombreux taux :
taux d’accroissement d’une population, taux d’encadrement des détenus (par
surveillant), taux de personnes sous écrou par habitant, taux de détention par
habitant, taux d’entrées sous écrou par habitant, taux d’entrées en détention par habitant, taux de mortalité
sous écrou… Dans des circonstances voisines qu’il convient de préciser, on
utilise aussi les termes de proportion (par exemple, proportion de personnes sous écrou non encore jugées), d’indice (indice spécifique d’usage
d’une sanction ou mesure appliquée dans la communauté), de poids (poids de la détention
provisoire, poids des alternatives à la détention), voire de quotient.
Il s’agit
chaque fois de calculer un rapport de deux grandeurs A et B, mais les relations
qui existent entre elles peuvent être de nature différente […] Mettre en rapport, au sens
arithmétique de l’expression, telle grandeur (A) avec telle autre (B) est un
des premiers stades de l’analyse. La signification de l’opération va bien
évidemment dépendre de la nature des quantités (1).
3. Taux de recondamnation dans des cohortes de
sortants de prison
En parlant d’un « taux de récidive de plus
de 57% », Christiane
Taubira a sans doute en tête la dernière étude réalisée par la Direction de l’administration
pénitentiaire, en matière d’analyse de de suivi de cohorte de condamnés libérés
(levée d’écrou). Les données ont été rendues publiques en août 2011 (2). En
examinant le casier judiciaire de condamnés libérés entre le 1er
juin et le 31 décembre 2002, 5 ans après
leur libération, on trouve un taux de recondamnation de 59 %. Il n’est pas question ici
de récidive au sens de la « récidive légale », mais d’un
taux de recondamnation (dans les 5 ans). Pour calculer ce taux, on prend en compte
l’existence, sur le casier, d’une nouvelle condamnation pour des faits
postérieurs à la date de libération et ce indépendamment de la nature de la nouvelle
condamnation (amende, TIG, sursis simple, avec mise à l’épreuve, peine ferme privative
de liberté, etc.) et indépendamment de la nature des nouvelles infractions. Si, dans ce
calcul, on se limite aux nouvelles condamnations à la prison ferme, le taux
n’est plus que 46 %.
Ces taux mesurent la fréquence d’apparition
d’un événement (une nouvelle condamnation) dans une population donnée (cohorte
de sortants de prison). On rapporte donc un nombre d’événements (A) à la
population susceptible de connaître cet
événement (B). Cette fréquence peut être considérée comme une mesure
expérimentale d’une probabilité d’apparition : c’est un calcul de risque, fondement de l’approche
actuarielle.
4. Evolution du taux de recondamnation dans
des cohortes de sortants de prison
Curieusement,
cet aspect n’avait pas abordé par l’étude publiée en 2011. La précédente enquête
nationale portant sur des sortants de « 1996-1997 » (3) donnait un
taux de nouvelles condamnations, 5 ans après la libération de 52 %,
et un taux de prison ferme de 41 %. Ce qui donne une augmentation de + 7
points pour les taux de recondamnation
et de + 5 points pour les taux de
recondamnation à la prison ferme (4).
Mais
quand on regarde les évolutions par infraction, on observe une baisse des taux pour les vols simples ou les vols avec
violence, les recels et les viols sur mineur. En revanche on note une hausse des taux pour les conduites en
état d’ivresse, les escroqueries, filouteries, abus de confiance, les
infractions à la législation sur les étrangers, les homicides volontaires. Enfin
la stabilité est remarquable pour
les faux et usages de faux documents administratifs.
Ainsi
les hausses observées, entre la cohorte « 1996-1997 » et la cohorte
« 2002 », sur les taux globaux
peuvent être, en partie, liées à un changement de structure selon la nature de
l’infraction. Disposer de taux globaux ne suffit donc pas à caractériser une évolution (à la baisse ou à
la hausse). Là aussi la politique du chiffre unique est à proscrire.
5. Proportion de récidivistes (au sens de la
récidive légale) parmi les condamnés pour crime ou délit d’une année
Les
données qui suivent sont produites, chaque année, par la sous-direction de la
statistique du Ministère de la Justice (5). Le tableau 1 concernent les
condamnés d’une année pour crime et le tableau 2 les condamnés d’une année pour
délit.
Tableau 1 Proportion de récidivistes (récidive
légale) parmi les condamnés pour crime
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Ensemble
|
3 244
|
3 402
|
3 305
|
3 245
|
2867
|
2 731
|
2 670
|
2 497
|
Récidiviste
|
108
|
98
|
130
|
128
|
129
|
126
|
160
|
154
|
Proportion
|
3,3 %
|
2,9 %
|
3,9 %
|
3,9 %
|
4,5 %
|
4,6 %
|
6,0 %
|
6,2 %
|
Source : annuaire statistique de la justice
Tableau 2 Proportion de récidivistes (récidive
légale) parmi les condamnés pour délit
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Ensemble
|
410 559
|
476 654
|
529 447
|
544 845
|
553 132
|
554 539
|
475 838
|
470 319
|
Récidivistes
|
25 181
|
29 430
|
36 832
|
43 873
|
51 051
|
54 383
|
52 993
|
56 841
|
Proportion
|
6,1 %
|
6,2 %
|
7,0 %
|
8,1 %
|
9,2 %
|
9,8 %
|
11 %
|
12 %
|
Source : annuaire statistique de la justice
C’est de
cela dont il semble s’agir dans la déclaration de Christiane Taubira à France
Info, dans celle de François Hollande au Monde et dans l’éditorial de ce
même quotidien. La garde des Sceaux semble disposer du taux de 2012 (peu
vraisemblable), le Président de la République de celui de 2011, mais pas de 2012 (possible), Le
Monde celui de 2010 mais pas ceux de 2011 ou de 2012.
J’ai pu
obtenir les taux pour 2011, auprès du cabinet de la garde des Sceaux. Les
chiffres présentés supra correspondent à peu près à ceux cités par le
Monde et montre que les propos du président de la République « La récidive
a triplé de 2004 à 2011" sont très exagérés
12,1 / 6,1 = 1,98. Il aurait dû dire « la récidive a
pratiquement doublé de 2004 à 2011 ». Mais plus grave, est-ce bien « la récidive » qui a doublé ?
L’indicateur ainsi calculé n’est pas un
« taux », au sens où l’on a parlé supra de taux de
recondamnation, rapport d’un nombre
d’événements (A) à la population susceptible
de connaître cet événement (B), mesure expérimentale d’une probabilité.
Ici il
s’agit de la division d’une partie A par
le tout B. Dans ce cas, on utilisera de
préférence le terme de proportion ou
de poids. B représente les condamnations prononcées
d’une année donnée et A celles pour lesquelles on a retenu l’état de récidive
légale. On parlera de proportion de récidivistes (au sens de la récidive
légal).
D’ailleurs, plus que la proportion, c’est l’évolution du nombre absolu
qui peut être intéressante. De 2009 à 2010, le nombre de « récidivistes »
a diminué de - 1 390 (- 2,6 %) et pourtant la proportion de récidivistes
augmenté de 1,2 points. Dans le même temps le nombre de non récidivistes a
diminué de - 77 311 (- 15, 5 %). Ainsi
à nombre de récidivistes constant (la récidive n’évolue pas, du moins d’après ce critère, fort
discutable, voit infra), la proportion de récidivistes pourrait
mécaniquement augmenter, si le nombre de non récidivistes diminue. Rêvons un
peu : si la délinquance cessait de recruter de nouveaux « praticiens »
(bonne nouvelle), la proportion de récidivistes pourrait, un jour, avoisiner
les 100 % et le président pourrait affoler la population en annonçant que la récidive
a été multipliée par 10 !
Mais
au-delà de cette question d’arithmétique, n’oublions pas ce que rappelait le
magistrat Jean-Paul Jean lors des audiences
publiques de la conférence de consensus, sur la prévention de la récidive : « l’accroissement des condamnations en état de récidive légale
sur la période 2004-2010 ne traduit pas une augmentation du nombre des faits de
récidive, mais une augmentation mécanique
des cas légaux de récidive du
fait des évolutions des textes et des
pratiques des juridictions ».
Alors la
récidive çà monte ou çà descend ?
Nous n’avons pas, aujourd’hui les
moyens de répondre à une question ainsi formulée. Une certitude, le Président
de la République était bien mal informé (6).
Pierre V. Tournier
Membre du Conseil d’orientation de l’ONDRP (7)
Ne négligez pas les notes de bas de page, on y
apprend aussi des choses
(1) Pierre
V. Tournier Dictionnaire de démographie
pénale. Des outils pour arpenter le champ pénal, L’Harmattan, Coll. Criminologie, déc. 2010, 211 p.
(2) Direction de l’administration
pénitentiaire, « Les risques de récidive de sortants de prison. Une
nouvelle évaluation », Cahiers
d’études pénitentiaires et criminologiques, n°36,
mai 2011.8 p.
Voir
aussi ACP n°239 du 5 septembre 2011
« En effet, nous avons interrogé la direction de l’administration
pénitentiaire, le 9 août, sur la composition de l’échantillon dont un aspect
nous intriguait (structure selon le quantum de la peine prononcée) ». Nous
n’avons jamais réussi à avoir des explications sur cette anomalie.
(3)
Kensey A., Tournier P.V., Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes
condamnées, libérées en 1996-1997 :
examen de leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon
national aléatoire stratifié selon l’infraction), Paris, Ministère de la Justice ,
direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux &
Documents, n°68, 2005, livret de 63
pages + CD ROM
(4) Voir ACP n°247, 31 octobre 2011
(5) Annuaire statistique du Ministère de la
Justice, Editions 2009-2010 et 2011-2012.
(6) Un document de 16 pages de la sous-direction de
la statistique du Ministère de la Justice intitulé « Mesurer la récidive
», sans nom d’auteur, a été diffusé, en
janvier 2013, dans le cadre de la
conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Les données qu’il
contient, en terme d’évolution sont, pour nous, inexploitables (biais
méthodologiques considérables). Nous y reviendrons en détail,
ultérieurement.
(7) J’ai appris (de source sûre), que « l’on »
n’avait pas l’intention de renouveler
mon mandat dans cette instance en janvier 2014. Place aux jeunes ?
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