Par
Pierre V. Tournier
1. Si l’on se réfère à la recommandation du Conseil de l’Europe adoptée, sur le sujet le 20 janvier 2010[1], le terme de probation « décrit l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ». En résumé, cela se passe hors de la prison, sous la supervision (aide et contrôle) d’agents dits de probation.
1. Si l’on se réfère à la recommandation du Conseil de l’Europe adoptée, sur le sujet le 20 janvier 2010[1], le terme de probation « décrit l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ». En résumé, cela se passe hors de la prison, sous la supervision (aide et contrôle) d’agents dits de probation.
La probation
existe, en France, depuis plus de 50 ans
2.
La probation, ainsi définie, n’est pas une idée neuve en Europe, pas même en
France. Elle existe, dans notre pays,
depuis 1958 sous la forme du sursis avec mise à l’épreuve (SME), ou sursis
probatoire. Une peine d’emprisonnement est prononcée, un quantum de peine est
défini, mais il y a sursis à exécution de cette peine. Des obligations sont
imposées au condamné pour une période probatoire. Si le condamné les respecte,
il ne subira pas sa peine en détention.
Dans le cas contraire, le sursis peut être révoqué et la peine effectivement exécutée
en prison.
3.
Non seulement, la probation existe mais la justice pénale y recourt massivement.
En 2011, sur les 560 000 condamnations prononcées pour un délit, on compte
environ 58 500 condamnations à l’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve
pour 85 500 peines d’emprisonnement fermes. La supervision des condamnés au SME est
assurée par les agents des Services pénitentiaires d’insertion et de probation
(SIPP) sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP). Au 1er janvier 2013, les conseillers des SPIP ont en charge environ
145 000 sursis avec mise à l’épreuve. A la même date, la population sous
écrou s’élève à environ 76 800 personnes dont 66 600 sont détenues.
4.
En France, les sortants de prison ont fait l’objet de nombreuses enquêtes démographiques sur la
récidive, et ce depuis le milieu des années 1960. Elles tendent toutes à montrer l’intérêt, en matière de prévention
de la récidive, d’éviter les sorties sèches grâce à la libération
conditionnelle ou aux aménagements de peines sous écrou. Aussi la question des
modalités de libération doit-elle être au cœur
de la réforme pénale.
5.
En revanche, à ma connaissance, nous ne disposons que d’une seule enquête d’ampleur
mesurant
le risque de récidive concernant
le sursis avec mise à l’épreuve. J’ai réalisé cette enquête de suivi de
cohortes, à la fin des années 1990, dans le département du Nord, en coopération
avec l’Université de Lille et la direction de l’administration pénitentiaire [2].
Sur une période d’observation de 6 ans, on obtient un taux de recondamnation
(toutes nouvelles peines confondues) de 72 % pour les sortants de prison
(condamnés pour un délit), contre 52 % après un sursis avec mise à l’épreuve,
soit 20 points de moins. Si on raisonne non pas "toutes choses égales par
ailleurs", mais simplement en appliquant
aux SME la structure des sortants de prison par nature de l’infraction initiale
et le passé judiciaire, on obtient au
taux comparatif de 68 % pour les SME
contre toujours 72 % pour les sortants de prison, soit un écart de 4 points, écart certes nettement
plus faible mais toujours en faveur du sursis probatoire.
Vers
une nouvelle forme de probation en France ?
6. A l’étranger des formes de probation, différentes
de la « probation à la française » (le sursis avec mise à l’épreuve) existent. Quand, en Angleterre ou au Pays de
Galles, en Suède ou au Danemark, on parle de « probation », on pense
« sanction
autonome après déclaration de culpabilité, sans prononcé d’une peine privative
de liberté ». Une période de probation est définie, sans aucune référence
à la prison, sans cette épée de Damoclès qui existe dans le SME français, des
conditions sont imposées au condamné qu’il doit respecter.
7.
C’est en m’inspirant de cette « probation à l’anglais » que j’ai
proposé, dès 2006, d’introduire une
sanction de cette nature dans notre échelle des peines [3]. A nouvelle forme de probation en France,
nouveau nom : en novembre 2012, je l’ai appelée « Contrainte pénale
communautaire », ou plus justement, « Contrainte pénale
appliquée dans la communauté (CPC) ». Ses principes ont été précisés dans l’appel du 1er juin 2012
« Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement : mettre
au centre de l’échelle des peines, la contrainte pénale communautaire » appel signé par de nombreuses personnalités (voir Plus Nouvel Obs.com,
8/6/2012).
8. La
proposition de création de la CPC a été reprise dans le rapport de la mission
d’information parlementaire, présidée
par Dominique Raimbourg,
sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (janvier 2013) : « Cette contrainte pénale […] serait une peine principale pour certains délits en lieu et place de la
courte peine privative de liberté
actuellement prévue. Elle serait donc prononcée
par la juridiction de jugement.
Son contenu serait variable en fonction du délit, de la situation et de la
personnalité de la personne jugée : toutes les mesures actuellement
susceptibles d’entrer dans
l’épreuve d’un sursis ou de l’ajournement du prononcé d’une peine pourraient faire partie de cette contrainte
pénale. Les principaux éléments de cette
contrainte seraient fixés par la juridiction de jugement, qui déciderait
aussi de sa durée – dans le
respect d’une durée maximale légale fixée par infraction –, mais le juge de l’application des peines garderait
une marge d’appréciation dans leur détermination,
laquelle pourrait évoluer en fonction du comportement du condamné. […] la
contrainte pénale serait assortie, si nécessaire, d’interdictions,
d’obligations, de procédures de contrôle, de la plus minime au placement sous
surveillance électronique mobile, d’un traitement (au sens de treatment, c’est-à-dire ne recouvrant
pas nécessairement une dimension médicale) tel que des stages de
sensibilisation, et de la mise en contact
des personnes condamnées avec les institutions, notamment sociales, de droit commun ».
9.
Le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a lui aussi retenu cette idée (voir
Plus Nouvel Obs.com, 27/2/2013), mais je ne comprends pas l’entêtement des
uns et des autres à vouloir appeler cette nouvelle sanction "peine de
probation", compte tenu du risque de confusion dans les esprits avec la
peine actuelle du sursis probatoire.
10. Je
ne sais pas ce que deviendra cette idée dans le projet de loi pénale. Au début du mois de juillet, la Chancellerie
semblait renoncer à une révision de l’échelle des peines – pourtant bien
nécessaire en matière correctionnelle – renvoyant à plus tard une révision du
code pénal basée sur le triptyque que
nous proposions « amende, contrainte pénale et emprisonnement ».
Le Ministère semblait aussi avoir
choisi, au moins dans un premier temps, d’ajouter la « nouvelle
probation » à l’ancienne (le SME). Cela nous semble être une ineptie, le système pénal français « couteau suisse » devant être
simplifié et non complexifié.
11. Il
semble aussi que, dans le projet, la probation pourrait être prononcée pour tous types de délit. Je suis contre ce
choix, la position retenue par le
rapport "Raimbourg", étant plus judicieuse : il « estime donc à la
fois plus prudent et plus efficace d’expérimenter la mise en œuvre de cette peine en choisissant d’en faire la
peine principale (à la place de l’emprisonnement) d’un petit nombre de délits
pour lesquels elle apparaît particulièrement pertinente. Une évaluation des
résultats obtenus devra être effectuée avant tout élargissement de son champ
d’application ». Plus
incompréhensible encore, la
Chancellerie semblait retenir l’idée
suivante : « lors du prononcé [de la nouvelle probation] devrait être
fixée la durée de la peine d’emprisonnement pouvant être exécutée en cas de
non-respect des obligations de la probation. Tout cela pour ça ? La
différence entre ancienne probation que l’on garderait et nouvelle probation
que l’on introduirait serait bien ténue.
12.
Nous sommes vraiment loin des objectifs
fixés, dans l’appel du 1er juin 2012, à la contrainte pénale qui devait, avant tout, répondre à l’exigence,
fondamentale, d’une échelle de sanctions graduée, lisible par tous, réellement appliquée et dont le prison
ne serait plus, à terme, le cœur (en matière de délit). Mais, si l’on a bien
compris le débat ne fait que commencer.
***
Commentaire de mon collègue Ioan Durnescu, membre du bureau
de la Conférence européenne de la probation
Dear
prof. Tournier,
I
read with great pleasure your essay. I agree with your point. Prison should not
be the center of the sanctioning system anymore. Actually this change is long
time overdue. I also attended the consensus meeting in Paris on behalf of CEP
and discussed about how the new sanctioning system should be like. As far as I
know the French system I would very much be in favor of a flexible system based
on a general framework and judge discretion. The non-compliance procedure
should be very flexible to accommodate all he potential situations. A rigid or
automatic procedure would lead to an even worse prison overcrowding (see what
happens in US or UK).
In
the French system I would regulate the new probation either as a 'postponing
application of the sentence' or a a 'suspension of the application of the
sentence'. What do you think?
Please
let me know if I can help in any way your mission.
Yours,
Conf.
dr. Ioan Durnescu, Univ.
of Bucharest, Board
member of CEP
[1] Conseil de
l’Europe, Recommandation CM/Rec(2010)1
du Comité des Ministres aux
Etats membres sur les règles du Conseil de l’Europe
relatives à la probation adoptée par le Comité des Ministres le 20
janvier 2010.