Politique pénale
et pénitentiaire, il est temps d’agir
Par Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS
Après l’ère sarkozienne marquée par le « populisme pénal », il y avait urgence, pour la gauche, à prendre le temps de consulter experts, professionnels et ONG, urgence à redonner confiance aux acteurs et à penser la nouvelle politique pénale. Impossible de rayer, d’un trait de plume, tout ce que la droite avait fait (peines planchers, rétention de sureté et autres mesures inconsidérées), sans alternatives crédibles.
Aussi
Christiane Taubira a-t-elle installé une conférence de consensus sur la récidive qui a travaillé pendant 6 mois. Parallèlement,
la commission des lois de l’Assemblée nationale a confié le soin à son
vice-président, Dominique Raimbourg, de mener une mission sur les moyens de lutte contre la surpopulation des
prisons. Fortement inspiré par les recommandations du Conseil de l’Europe,
son rapport comprend 76 propositions progressistes et pragmatiques. Maintenant,
le Gouvernement doit se donner les moyens législatifs, administratifs et
budgétaires de les mettre en pratique. Il y a urgence : la
population sous écrou est à un niveau record, 78 997 au 1er
avril dont 67 493 détenus. On compte
13 115 « détenus en surnombre » dont 918
dorment sur un matelas posé à même le sol.
Aussi 50
chercheurs du « champ pénal » et
professionnels du travail social, de la
sécurité, de la justice et du soin ont-ils décidé d’interpeler le premier ministre
dans un appel dit du 23 avril. Pour eux,
il n’est plus temps de consulter, il est grand temps d’agir et de s’engager
résolument dans une réforme
progressiste de la justice pénale (1). Rejoint
par l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) et
des associations d’aide à l’insertion, les 50 approuvent, pour l’essentiel, les orientations de la mission parlementaire.
En
accord avec la Garde des Sceaux, la
mission « Raimbourg » prône l’expansion mesurée du parc pénitentiaire
afin d’améliorer les conditions de détention et d’appliquer la loi
pénitentiaire (en particulier l’encellulement individuel). Mais elle préconise,
surtout, le développement des sanctions non carcérales par la création de la
contrainte pénale appliquée dans la communauté (CPC), sanction autonome sans
référence à la prison contrairement au sursis avec mise à l’épreuve d’aujourd’hui.
La CPC sera l’occasion de rénover les méthodes du « milieu ouvert », en
s’inspirant des bonnes pratiques menées à l’étranger, sous la responsabilité
des conseillers d’insertion et de probation, mieux formés en criminologie.
Les députés proposent une refondation de la
libération conditionnelle (LC) afin qu’un maximum de condamnés puissent en bénéficier,
retenant la solution réaliste d’un « système mixte », proche du
système anglais : libération d’office aux deux tiers de la
peine des condamnés à 5 ans ou moins -
sauf opposition motivée du juge de l’application des peines -, maintien
du régime discrétionnaire pour les condamnés « longues peines ».
Il est tout aussi nécessaire de réduire le temps
passé derrière les murs : placement sous surveillance électronique (PSE), semi-liberté, placement extérieur. La mission
« Raimbourg » fait nombre de
propositions concrètes à ce sujet en insistant sur le renforcement du suivi
socio-éducatif sous PSE : seule cette amélioration qualitative de la
mesure permettra son développement quantitatif.
Enfin la mission demande un « ajustement du périmètre et des modes
d’intervention du juge pénal ». La réponse pénale doit être strictement
nécessaire et adaptée à ses objectifs.
Cela peut prendre des formes différentes selon les infractions : dépénalisation
(racolage passif…), meilleure répartition du contentieux entre juge pénal et juge civil au profit de
ce dernier (filouterie,…), transformation de certains délits en contraventions
de 5ème classe (usage de stupéfiants), traitement administratif d’infractions
routières, etc.
Les mesures préconisées contre la surpopulation des
prisons ont comme point commun de favoriser aussi la prévention de la
récidive. Ainsi, le travail considérable réalisé
dans le cadre de la conférence de consensus a permis de documenter
davantage encore les orientations de la mission parlementaire. Mais la lutte
contre la surpopulation des prisons comme la prévention de la récidive passent aussi
par une action efficace, préventive et répressive, pour réduire la délinquance.
Il est absolument nécessaire qu’une telle politique soit portée par l’ensemble du Gouvernement, en pleine
cohérence.
(1) Voir appel
du 23 avril 2013 « Pour une réforme progressiste de la justice
pénale : il n’est plus temps de consulter, il est grand temps d’agir ».
Parmi les signataires : J-P. Dintilhac,
magistrat honoraire, Daniel Dériot, travailleur social, Maître Soulez Larivière, Hans
Lefebvre, conseiller d’insertion et de probation. G. Moreau, conseiller maître honoraire à la Cour des
Comptes, Ph. Combessie, professeur de sociologie,
S. Coronado, député EELV,
Th. Tintoni, policier, M. Lemonde, magistrat honoraire, P. Duflot, directeur des
services pénitentiaires, CFDT, C. Marot, visiteur de prison, F.
Goetz, directeur de maison
centrale, O. Boitard psychiatre des hôpitaux, M. de
Crouy Chanel, magistrate, A.
Eddouk, aumônier musulman des
prisons, J. Faget, juriste et sociologue CNRS, E. Kania, psychiatre, J-M. Larralde, professeur de droit, R. Pfefferkorn, professeur de sociologie…
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