samedi 11 mai 2013

Journal "Libération" du lundi 6 mai 2013, « Rebonds »


Politique  pénale  et pénitentiaire, il est temps d’agir

Par Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS

Après l’ère sarkozienne marquée par le « populisme  pénal », il y avait urgence, pour la gauche, à prendre le temps de  consulter experts, professionnels  et ONG, urgence à redonner confiance aux acteurs et à penser la nouvelle politique pénale. Impossible de rayer, d’un trait de plume,  tout ce que la droite avait fait (peines planchers, rétention de sureté et autres mesures inconsidérées), sans alternatives crédibles.

Aussi Christiane Taubira a-t-elle  installé  une conférence  de consensus sur la récidive  qui a travaillé pendant 6 mois. Parallèlement, la commission des lois de l’Assemblée nationale a confié le soin à son vice-président, Dominique Raimbourg, de mener une mission sur les moyens de lutte contre la surpopulation des prisons. Fortement inspiré par les recommandations du Conseil de l’Europe, son rapport comprend 76 propositions progressistes et pragmatiques. Maintenant, le Gouvernement doit se donner les moyens législatifs, administratifs et budgétaires de les mettre en pratique. Il y a urgence : la population sous écrou est à un niveau record, 78 997 au 1er avril dont 67 493 détenus. On compte  13 115  « détenus en surnombre » dont  918 dorment sur un matelas posé à même le sol.  

Aussi 50 chercheurs  du « champ pénal » et  professionnels du travail social, de la sécurité, de la justice et du soin ont-ils décidé d’interpeler le premier ministre dans un appel dit du 23 avril. Pour eux,  il n’est plus temps de consulter, il est grand temps d’agir et de s’engager résolument   dans une réforme progressiste de la justice pénale (1). Rejoint par l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) et des associations d’aide à l’insertion, les 50  approuvent, pour l’essentiel,  les orientations  de la mission parlementaire.

En accord avec la Garde des Sceaux,  la mission « Raimbourg » prône l’expansion mesurée du parc pénitentiaire afin d’améliorer les conditions de détention et d’appliquer  la  loi pénitentiaire (en particulier l’encellulement individuel). Mais elle préconise, surtout, le développement des sanctions non carcérales par la création de la contrainte pénale appliquée dans la communauté (CPC), sanction autonome sans référence à la prison contrairement au sursis avec mise à l’épreuve d’aujourd’hui. La CPC sera l’occasion de rénover les méthodes du « milieu ouvert », en s’inspirant des bonnes pratiques menées à l’étranger, sous la responsabilité des conseillers d’insertion et de probation, mieux formés  en criminologie.

Les députés proposent une refondation de la libération conditionnelle (LC) afin qu’un maximum de condamnés puissent en bénéficier, retenant la solution réaliste d’un « système mixte », proche du système anglais : libération d’office aux deux tiers de la peine des condamnés à 5 ans ou moins -  sauf opposition motivée du juge de l’application des peines -, maintien du régime discrétionnaire pour les condamnés « longues peines ».  

Il est tout aussi nécessaire de réduire le temps passé derrière les murs : placement sous surveillance électronique (PSE),  semi-liberté, placement extérieur. La mission « Raimbourg »  fait nombre de propositions concrètes à ce sujet en insistant sur le renforcement du suivi socio-éducatif sous PSE : seule cette amélioration qualitative de la mesure permettra son développement quantitatif.

Enfin la mission demande un  « ajustement du périmètre et des modes d’intervention du juge pénal ». La réponse pénale doit être strictement nécessaire et adaptée  à ses objectifs. Cela peut prendre des formes différentes selon les infractions : dépénalisation (racolage passif…), meilleure répartition du contentieux  entre juge pénal et juge civil au profit de ce dernier (filouterie,…), transformation de certains délits en contraventions de 5ème classe (usage de stupéfiants), traitement administratif d’infractions routières, etc.   

Les mesures préconisées contre la surpopulation des prisons ont comme point commun de favoriser aussi la prévention de la récidive.  Ainsi, le travail considérable  réalisé  dans le cadre de la conférence de consensus a permis de documenter davantage encore les orientations de la mission parlementaire. Mais la lutte contre la surpopulation des prisons comme la prévention de la récidive passent aussi par une action efficace, préventive et répressive, pour réduire la délinquance. Il est absolument nécessaire qu’une telle politique  soit portée par  l’ensemble du Gouvernement, en pleine cohérence.

(1) Voir appel du 23 avril 2013 « Pour une réforme progressiste de la justice pénale : il n’est plus temps de consulter, il est grand temps d’agir ».
 
Parmi les signataires : J-P. Dintilhac, magistrat honoraire, Daniel Dériot, travailleur social, Maître Soulez Larivière,  Hans Lefebvre, conseiller d’insertion et de probation. G. Moreau, conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes,  Ph. Combessie, professeur de sociologie,  S. Coronado, député EELV,  Th. Tintoni, policier, M. Lemonde, magistrat honoraire, P. Duflot, directeur des services pénitentiaires, CFDT, C. Marot, visiteur de prison,  F. Goetz, directeur de maison centrale, O. Boitard  psychiatre des hôpitaux, M. de Crouy  Chanel, magistrate, A. Eddouk, aumônier musulman des prisons, J. Faget, juriste et sociologue CNRS,  E.  Kania, psychiatre,  J-M. Larralde, professeur de droit,  R. Pfefferkorn, professeur de sociologie…

 

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