dimanche 21 avril 2013

Quand Obertone fait son cinéma, pourquoi la salle est-elle pleine ?


À propos d'une nouvelle figure du catastrophisme sécuritaire
par Didier Peyrat

     Un livre rencontre depuis quelques mois un succès de librairie considérable, il s'agit de « La France orange mécanique », signé de Laurent Obertone aux éditions « Ring ».

    Cet ouvrage, qui se présente comme un «document» et porte en exergue la mention « nul n'est censé ignorer la réalité » est d'abord remarquable pour fourmiller d'erreurs, d'à peu près et d'énormités.

    Il est vrai qu'un catastrophiste sécuritaire, club dans lequel, après d'autres, Obertone entre à grands fracas, est toujours pressé et expéditif. Devant le désastre imminent, en effet, il n'a pas le temps de s'embarrasser de vérifications. D'où un numéro particulièrement réussi de ce que nous avons appelé ailleurs « dramagogie », mélange de dramatisation et de démagogie constituant la technique favorite des catastrophistes...

Séquences choisies

      L'auteur trouve regrettable que les criminels ne soient pas condamnés à mort (p. 16). Que Christiane Taubira « a décidé de ne plus enfermer les mineurs » (p.31) - alors qu'au 1er mars 2013, il y a 729 jeunes de moins de 18 ans détenus en France. Que l'insécurité routière est une construction et « un faux problème » (p.36). Que la violence est inscrite dans les gènes de l'homme ( p. 91). Que « le monde des faibles » domine celui des forts dans notre société (p.93). Que « les asociaux » y sont plus puissants que les citoyens normaux (p. 102). Que la justice libère tous ceux que la police arrête (p. 131) - ce qui explique sans doute que le nombre de détenus en France n'ait jamais été plus important depuis la 2ème guerre mondiale ! Que la déclaration des droits de l'Homme de 1948 est un texte « écrit à la va vite » au lendemain d'une guerre et « sans portée spirituelle » (p.165). Qu'en France « des millions de gens sont agressés, violés ou tués » (p.166). Que faire une loi contre l'inceste revient en réalité à l'excuser et à militer en sa faveur (p. 175). Qu'habiter des ZUS, des ZEP et autres ZUP « donne droit à des avantages considérables » (p. 218). Qu'on a eu bien tort de supprimer la fessée à l'école (p. 223). Que Richard Durn était un « élu écologiste » lorsqu'il a tiré sur « ses collègues du conseil municipal de Nanterre (p. 271). Que le programme de Marine Le Pen relève « du gauchisme social » (p. 333). Qu'à gauche on considère qu'il y a des gens opprimés alors qu'il n'y a que des « sous adaptés » et des « gens limités »,  lesquels sont « la verrue originelle » du socialisme (p. 321). Que « l'égalité, triomphe des faibles, mène à la haine de tout ce que nous appelons civilisation » (p.340). Que si la victime d'une agression sexuelle déclare refuser qu'on profite de son cas pour se livrer à des amalgames et à l'exploitation de son affaire, c'est parce qu'elle a subi un « long conditionnement mental » (p.345)...

Quel est le but ?

      D'une part essayer de faire croire que la criminalité est le problème central de la France d'aujourd'hui, d'autre part que nous sommes au bord d'un explosion anti-criminelle, enfin que la gauche, mais aussi la droite, les éducateurs, les professeurs, les juges, les sociologues et les journalistes sont responsables de ce désastre. Le débouché politique logique de toutes ces balivernes n'est pas énoncé, mais il est absolument prévisible.

     Cet ouvrage coup de poing vaut cependant qu'on s'y intéresse par ce qu’il annonce des futures offensives du catastrophisme sécuritaire en France, dans une situation qui, hélas, lui donne encore du grain à moudre.

     On suggérera à tous ceux qui se sont empressés de lui régler son compte en se contentant de discréditer son auteur pour de possibles accointances avec l'extrême droite et une nostalgie vichyste de s'interroger sur le pourquoi du succès public de ce type d'opuscule. Peut-on vraiment tout expliquer par la complaisance de certains médias et une promotion active par les réseaux du Front National ? On peut en douter.

     Bien sûr, la délinquance en France n'est nullement une apocalypse. Tout le monde n'est pas attaqué tout le temps et partout, contrairement à ce qu'Obertone veut faire croire en alignant des centaines de références à des faits divers puisés dans la presse régionale ! La moindre comparaison avec pas mal d'autres pays étrangers le démontre sans peine.

     Pour autant, la criminalité française est bien une réalité sérieuse et  préoccupante, dans laquelle la violence occupe une place plus importante qu'avant. Elle engendre une victimation de masse qui travaille l'opinion publique. A la fin, l'insécurité rétroagit sur la question sociale, puis détermine des reclassements politiques.

     Là est sans doute la racine du sinistre succès d'Obertone : au fil de ces pages habilement construites, la description de certains actes et des dégâts qu'ils causent est tout simplement... vraie. Et cela parle à des gens, visiblement nombreux. Pour que ce  livre soit un feu de paille et non l'amorce de plus vastes offensives, il faudra autre chose que la réductio ad hitlerum dont se contentent encore les anti sécuritaires de toujours.

Didier Peyrat

« La France orange mécanique », Laurent Obertone, Editions « Ring », janvier 2013.

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