Comment en arrive-t-on à surestimer la durée moyenne de détention de + 45 % dans un rapport du Sénat ?
*
Note de bas de page du rapport
(population moyenne /entrées) x 12.
1. Une durée moyenne de détention de
16,4 mois en 2011 et de 17,4 mois en 2010 ? Certainement pas.
Depuis
le développement du placement sous surveillance électronique, on sait qu’il est
essentiel de ne pas confondre « population sous écrou » et
« population détenue ». Ainsi, au 1er décembre 2012, le
nombre de personnes sous écrou est de 78
082 (France entière) : 16 945
prévenus détenus, 50 729 condamnés détenus (soit 67 674 personnes détenues), 9 251 condamnés placés sous
surveillance électronique en aménagement de peine, 589 condamnés placés sous
surveillance électronique en fin de peine et 568 condamnés en placement à
l’extérieur, sans hébergement pénitentiaire. Le taux de placement sous écrou
est de 119 pour 100 000 habitants
et le taux de détention de 104 pour
100 000 habitants.
Au-delà
de ces effectifs à une date donnée (statistique de stock), je publie
régulièrement, dans le tableau de bord d’OPALE, des données de flux d’entrées sous écrou et un
indicateur de la durée moyenne de temps
passé sous écrou.
J’ai introduit cet indicateur, dans le champ carcéral,
au début des 1980. Il est calculé à partir de la formule fondamentale en
analyse démographique : P = E x d
où P
est l’effectif moyen de la population au
cours de l’année (donnée de stock),
E est le nombre d’entrées dans la population sur une
année (donnée de flux),
et d est la durée
moyenne de temps passé dans la population, exprimée en année ; dit d’une
autre manière, c’est l’espérance de vie dans la population, au moment de
l’entrée.
Cette formule correspond à un
modèle d’évolution théorique bien particulier, le modèle dit de la population stationnaire. Il repose sur
deux hypothèses : le nombre d’entrées annuelles dans la population est
constant et le calendrier des sorties est identique pour toutes les cohortes
d’entrées (rythme de sortie identique). Dans ce modèle, l’effectif de la population
est donc constant. Ces hypothèses ne sont, en général, vérifiées ni pour la
population sous écrou, ni pour la population détenue. Et pour
cause ! Ainsi les durées moyennes que l’on peut calculer à partir
des données de stock et des données de flux d’entrées (d = P /E) est un simple
indicateur dont seule l’évolution sur
plusieurs années a un sens. Ce n’est aucunement un outil d’analyse de
conjoncture.
En
2011, l’administration pénitentiaire a enregistré 88 058 entrées sous
écrou (E). Au cours de cette année, la population moyenne sous écrou a été de
71 755 (P), cette moyenne étant obtenue en faisant la moyenne arithmétique
des effectifs au 1er jour de chaque mois. Ce qui donne un indicateur
de la durée moyenne de temps passé sous
écrou de 9,8 mois. Depuis 2006, cette durée a augmenté de 18 %.
A notre connaissance, l’administration pénitentiaire
n’a pas les moyens de calculer, en toute rigueur, le même type d’indicateur ni
pour la durée moyenne de détention, dans son ensemble, ni pour la seule durée
moyenne de détention provisoire ; mais des valeurs appromimatives peuvent
être estimées.
Estimation
de l’indicateur de la durée moyenne de détention
En 2011, 20 082 aménagements de
peines sous PSE (placement sous surveillance électronique) ont été prononcés. Dans le calcul qui suit, on fait l’hypothèse
simplificatrice que 100 % de ces PSE
sont « ab initio ». Par ailleurs, on
va considérer comme négligeable le nombre de placements à l’extérieur sans
hébergement.
Estimation du nombre d’entrées en
détention en 2011 : 88 058 - 20 082 = 67 976
Population moyenne détenue :
63 767
Estimation de la durée moyenne de
détention en 2011 : 11,3 mois.
On est loin du chiffre indiqué dans le
rapport du Sénat : 16,4 mois en 2011, soit une surestimation de 45 % par
le Sénat. Nous y reviendrons. Et rien ne permet de penser que la durée moyenne
de détention a diminué de 2010 à 2011.
2.
Une durée moyenne de détention provisoire de 4,1 mois en 2011 ? Oui, approximativement
En 2011, 47 405 entrées de prévenus ont
été enregistrées. Dans le calcul qui suit, on considère comme négligeable le nombre
d’entrées dans la population des prévenus en cours de placement sous écrou. En effet, une
personne est placée sous écrou sur extrait de jugement pour exécuter sa
peine. Puis, en cours d’exécution, elle fait l’objet d’un mandat de dépôt dans
une 2ème affaire. Lorsque la peine dans la 1ère affaire
sera exécutée, la personne restera sous écrou pour la 2ème affaire. Elle passera ainsi de la population des condamnés
à la population des prévenus. On ne connaît
pas le nombre d’entrées de ce type dans la population des prévenus.
Population moyenne de prévenus : 16
506
Estimation de la durée moyenne de
détention provisoire en 2011 : 4,2
mois.
C’est à peu près le chiffre indiqué dans
le rapport du Sénat (4,1 mois en 2011).
3.
L’erreur du rapport du Sénat, retour à la source
D’où
vient l’erreur : une durée
moyenne de détention de 17,4 mois en 2010 et de 16,4 mois en 2011, alors
qu’elle est, d’après nos calculs, de 11,2 mois en 2010 et de 11,3 mois en 2011
?
Nous avons interrogé Jean-René Lecerf à
ce sujet. Le sénateur nous a rapidement répondu. Il avait posé la question
suivante à la Direction de l’administration pénitentiaire : « durée
moyenne de détention pour les prévenus, même question pour les condamnés ? »
Le
bureau PMJ5 de la DAP a répondu en fournissant un tableau intitulé
« Evolution de
l’indicateur des durées moyennes sous
écrou et de détention provisoire » qui porte sur la période « 2000- 2011 ». Sans surpris ce
tableau a deux colonnes : la seconde colonne est intitulée « durée
moyenne de détention provisoire ». Normal, et le sénateur a trouvé 3,9
mois pour 2010, 4,1 mois pour 2011. A une décimale près cela correspond à nos
chiffres. Pas de problème pour cet indicateur.
Dans la première colonne, le Sénateur a
trouvé 17,4 mois pour 2010 et 16,4 mois pour 2011, croyant trouver ainsi ce qui
était annoncé dans le titre du tableau, l’indicateur
des durées moyennes sous écrou. Hélas, il ne s’agit pas de cela.
Cette première colonne comprend, en fait,
un sous-titre « durée moyenne sous écrou des condamnés » : 1. Il ne
s’agit donc pas d’une durée de détention, mais d’une durée sous écrou, 2.
L’indicateur est sensé ne concerner que les condamnés.
Plus
grave, ce calcul n’a pas de sens.
Pour 2011, le calcul de la DAP est le suivant : Le nombre d’entrées de condamnés pour 2011 est de
39 754, la population moyenne de condamnés est de 54 385, P = E x d,
d = P/E, soit 16,4 mois.
Sauf que les 39 754 ne représentent qu’une part des entrées dans la population de condamnés sous écrou. Il s’agit exclusivement des entrées « ab initio », sur extrait de jugement. La DAP oublie les entrées dans la population des condamnés, des personnes écrouées comme prévenus (47 405 ne 2011) et qui vont changer de catégorie pénale en devenant des condamnés sous écrou. On peut considérer que ce sera le cas de la plupart des prévenus placés sous écrou dans le cadre d’une comparution immédiate (21 310 en 2011) et d’une bonne part des prévenus faisant l’objet d’une information (26 095 en 2011). Mais l’on n’en sait pas plus (1).
Sauf que les 39 754 ne représentent qu’une part des entrées dans la population de condamnés sous écrou. Il s’agit exclusivement des entrées « ab initio », sur extrait de jugement. La DAP oublie les entrées dans la population des condamnés, des personnes écrouées comme prévenus (47 405 ne 2011) et qui vont changer de catégorie pénale en devenant des condamnés sous écrou. On peut considérer que ce sera le cas de la plupart des prévenus placés sous écrou dans le cadre d’une comparution immédiate (21 310 en 2011) et d’une bonne part des prévenus faisant l’objet d’une information (26 095 en 2011). Mais l’on n’en sait pas plus (1).
PVT
(1) Pour plus de détails sur ce genre de
calcul démographique, revenir 25 ans en
arrière, voire 32 ans :
Tournier
P.V., Contribution à la connaissance de
la population des personnes incarcérées en France (1968-1980) - analyse
démographique -, thèse de 3e cycle publiée par le ministère de
la Justice, Centre national d’études et de recherches pénitentiaires (CNERP),
1981, 342 p.
Barré
M-D, Tournier P.V., coll. Leconte B., La mesure du temps carcéral, observation
suivie d’une cohorte d’entrants, Paris, CESDIP, Déviance & Contrôle social, n°48, 1988,
199 p.
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