Pierre V. Tournier
1. -
Assurer le développement, dans l’indépendance, de l’Observatoire national de la
délinquance et des réponses pénales
« Il
faut poursuivre le travail que Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait
initié en juillet 2001, en confiant à deux députés, Robert Pandraud (UMP) et
Christophe Caresche (socialiste), le soin d’élaborer un projet d’Observatoire
de la délinquance. L’objectif était de "disposer à terme d’un outil
statistique apte à rendre compte de l’évolution réelle de la délinquance, de
l’activité des services d’enquête et des suites données par l’institution
judiciaire". Rattaché au ministère de l’Intérieur lors de sa création par
Nicolas Sarkozy, l’OND s’est rapproché du projet initial en devenant ONDRP en
janvier 2010, placé sous la tutelle du Premier ministre. Il reste à
renforcer son personnel scientifique et à placer son conseil d’orientation
(COR) sous l’autorité d’une personnalité consensuelle. »
J’ai
pu faire part de mes attentes lors d’entretiens avec Pierre Valleix, conseiller « Justice » du
président de la République (23/7/12), Valérie Sagant, conseillère
technique au cabinet de la Ministre de
la Justice chargée des politiques publiques, pénales et de la recherche
évaluation (31/8/12) et Renaud Vedel, directeur-adjoint du cabinet du ministre
de l’Intérieur (10/9/12).
Pour le moment, pas de changement à
l’ONDRP. Dès la nomination du
Gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Alain Bauer, président du Conseil d’orientation (COR) de l’ONDRP a présenté sa démission au Premier Ministre.
Proche de l’ancien président de la République, Alain Bauer souhaitait ne pas
gêner son ami Manuel Valls devenu ministre de l’Intérieur. Il reste à ce jour
président par intérimaire du COR ; c’est à ce titre qu’il a présenté le
rapport annuel 2012, lors de la conférence de presse du 20 novembre 2012 mais
n’a plus réuni le Conseil d’Orientation.
Le ministère de la Justice et le ministère
de l’Intérieur semblent avoir le plus grand mal à se mettre d’accord sur le nom
du futur président du COR à soumettre au Premier Ministre. Cela devrait,
semble-t-il, être un membre du corps des
inspecteurs de l’INSEE.
Les changements significatifs devraient venir
de l’heureuse initiative de Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des
lois de l’Assemblée nationale qui a proposé, à ses collègues, la mise en place
d’une mission d’information sur « la
mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences ».
Présidée par Jean-Yves Le Bouillonnec, cette mission a organisé
de nombreuses auditions et devrait remettre son rapport en février 2013. Auditionné par la
mission (30/12/12), j’ai pu souligner la
qualité du travail réalisé jusqu’à ce jour par Christophe Soullez, chef de
l’ONDRP et Cyril Risk, attaché principal de l’INSEE et maître d’œuvre des
statistiques de l’Observatoire, insistant aussi sur la nécessité de voir, enfin,
le Ministère de la Justice « jouer le jeu » et s’investir davantage dans
cette œuvre commune.
2. -
Soutenir la recherche scientifique et l’enseignement en criminologie dans les
universités
« Le
débat public sur la violence ou la récidive le montre bien : tenter de savoir
et de comprendre pour agir est la seule façon de lutter contre toutes les
formes de démagogie et d’instrumentalisation. Le soutien que nous attendons des
pouvoirs publics doit tenir compte de la nature même de la criminologie :
"étude du phénomène criminel et des réponses que la société lui apporte ou
pourrait lui apporter". La criminologie n’est pas une discipline
scientifique en soi mais un espace de confluence entre le droit, les sciences
de la société, les sciences du psychisme, la criminalistique et la philosophie.
Le sectarisme
entre disciplines et la politisation à l’extrême du champ, dans notre pays,
représentent les principaux obstacles à son développement. Là aussi, c’est
important les modérés. »
En
fin de quinquennat, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
du Gouvernement de François Fillon avait décidé de créer une section de
criminologie au sein du Conseil National des Universités (CNU). Sollicité pour
en être membre, j’avais refusé l’offre
contestant la procédure « à la hussarde », menée sans
réelle concertation. Aussi, l’arrêté du 13 février 2012 portant
création de cette 75ème section a-t-il été abrogé par la nouvelle
ministre le 6 août 2012. J’ai
logiquement approuvé cette décision. Reçu à la demande de Geneviève Fioraso,
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par son conseiller
technique chargé des sciences humaines et sociales (SHS), Jacques Fontanille
(25/9/12), j’ai eu le sentiment de
bénéficier d’une excellente écoute et de faire partager mon point de vue. Pas
de nouvelles depuis, les résultats des
« Assises nationales de
l’enseignement supérieur », publiés le 17 décembre 2012, faisant aucune mention de la criminologie.
Je tenais à saluer l’initiative de mes collègues Olivier Cahn, directeur du Centre d’études et
de recherches en sciences criminelles de l’Université Cergy - Pontoise et Xavier Pin, co-directeur du Centre de droit
pénal de l’Université Jean-Moulin Lyon 3 qui ont décidé de relancer le débat
sur la criminologie. Ainsi organisent-ils
une première rencontre à Cergy-Pontoise, le 28 janvier 2013, sur le thème « Revaloriser la criminologie
en France », et ce dans le cadre la Conférence
pluridisciplinaire des directeurs de centres de recherches et de diplômes en
criminologie. C'est avec une certaine satisfaction que j’ai accepté l’invitation qui m’a été faite d’intervenir
dans ce cadre, reprenant ainsi le débat laissé en plan, à la suite du colloque
que j'avais organisé le 3 février 2009 au
siège du CNRS. J'y avais alors proposé
la création d'une Conférence
Universitaire de Criminologie (CUC), sans être suivi… sur le moment...
Entre temps, j’ai continué à appliquer, avec nombre de partenaires, les
principes que je défends, dans mes enseignements en criminologie à l’Université
Paris 1 (en coopération avec l’APCARS), depuis 6 ans, et à l’Ecole nationale supérieure de Police
(ENSP), depuis cette année.
3. - En
finir avec la primauté de l’emprisonnement
« La
place de la prison dans la façon de sanctionner les délits est paradoxale :
elle représente 52% des sanctions, mais plus 6 sur 10 sont prononcées avec un
sursis total (2009). La prison est la sanction de référence, sans l’être
(sursis) tout en l’étant (risque de révocation du sursis).
Aussi
proposons-nous de mettre au cœur du système une nouvelle sanction : "la
contrainte pénale communautaire" (CPC). Contrairement au sursis, la contrainte
pénale communautaire se définirait sans référence à un quantum
d’emprisonnement ferme "épée de Damoclès" qui pourrait, en
définitive, être appliqué, mais par un temps de probation vécu "dans la
communauté" (de 1 an à 3 ans). La CPC pourrait comporter des obligations,
des interdits et des mesures de surveillance. Ces conditions, précisées par la juridiction
et/ou par le juge de l’application des peines (JAP), pourraient être modifiées
par le JAP au cours de la période de contrainte. »
Cette proposition que j’ai popularisée de multiples façons depuis 2006, puis
plus récemment pendant la campagne présidentielle sur Plus Nouvel Obs.com, et dernièrement par l’appel du 1er
juin 2012 « Pour en finir avec la primauté de
l’emprisonnement : Mettre au centre de l’échelle des peines la
contrainte pénale communautaire » (CPC) a rencontré un franc
succès. Reprise par le groupe dit de Créteil animé par Jean-Claude Bouvier,
Valérie Sagant et Pascale Bruston, cette
proposition est devenue centrale dans le discours de la Garde des Sceaux, sous
le vocable de « nouvelle probation » : « Je suis absolument persuadée qu'il faut construire cette peine de probation
en France » (25/6/12). J’ai pu m’en
entretenir longuement avec Christiane Taubira (2/7/12), la ministre acceptant
alors mon invitation à intervenir lors du colloque organisé, sur la CPC, par DES
Maintenant en Europe, au Sénat (6/10/12), colloque auquel la Ministre a
assisté en son entier, accompagnée de quatre de ses conseillers.
4. -
Mettre en place un secrétariat d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions
pénales
« Placé
sous l’autorité du garde des Sceaux, son champ de compétence couvrirait toutes
les mesures et sanctions pénales : mesures et sanctions carcérales, mesures et
sanctions appliquées "dans la communauté", c’est-à-dire non
carcérales mais accompagnées d’une "supervision", mesures non
carcérales sans supervision comme l’amende ou le sursis simple. Le titulaire d’une
telle fonction devrait avoir l‘autorité politique que seul confère le suffrage
universel et la technicité nécessaire dans un tel domaine.
En relation
avec l’ONDRP et la recherche universitaire, il veillerait à la mise en place
des instruments d’évaluation et de prospective qui font aujourd’hui défaut en
matière de mise à exécution comme d’exécution de l’ensemble des mesures et
sanctions pénales et de récidive, au sens large du terme. »
J’ai cru
avoir été entendu, sur ce point aussi, en apprenant la nomination de Delphine
Batho, comme ministre déléguée auprès de la Ministre de la Justice. Représentante de la « gauche d’autorité » à
laquelle je m’identifie, Delphine Batho souhaitait avoir effectivement la
responsabilité de l’exécution des mesures et sanctions pénales. Je la
rencontrai à sa demande (24/5/2012) :
la Ministre déléguée envisageait de constituer un petit groupe de scientifiques
sur lequel elle aurait pu s’appuyer pour intégrer les apports de la recherche à
la définition des politiques publiques dans son champ de compétences. Idée peu banale ! Hélas, ne s’entendant
pas avec la Garde des Sceaux, sur le partage de compétences, Delphine Batho
sera nommée ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, le 21 juin 2012, après
les élections législatives … et ne sera pas remplacée, place
Vendôme.
Je reste persuadé que cette
fonction ministérielle spécifique est une nécessité si le Gouvernement veut mener
à bien les réformes pénales nécessaires qui devraient être formulées à la suite
de la mission d’information, présidée
par Dominique Raimbourg, sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale et de la
conférence de consensus sur le prévention de la récidive. Surtout quand on pense au caractère
pléthorique du gouvernement Ayrault : 38 membres dont certains ont
une utilité discutable.
5. -
Mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l’Europe
« Nous
pensons, bien entendu, à l’ensemble des règles pénitentiaires européennes
(RPE), adoptées le 11 janvier 2006 par le Conseil de l’Europe, mais aussi aux
règles européennes en matière de mesures et sanctions appliquées dans la
communauté, adoptées le 20 janvier 2010, règles que les gouvernements de droite
n’ont même pas pris la peine de diffuser comme la France s’y était engagée, à
Strasbourg.
Mais le
prochain Garde des Sceaux devrait aussi s’inspirer de deux recommandations plus
anciennes portant sur des questions qui restent malheureusement d’actualité et
dont nous avions été co-rédacteur : recommandations du 30 septembre 1999 sur
"le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale" et du 24
septembre 2003 sur "la libération conditionnelle". »
Là encore, j’attends, avec une impatience
certaine, les conclusions de la mission
d’information, sur les moyens de lutter contre la surpopulation
carcérale et celles de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive.
Lors de mon audition par la mission présidée par Dominique Raimbourg (7/11/12),
j’ai beaucoup insisté sur l’importance
de ces recommandations de Conseil de l’Europe. La délégation de DES Maintenant en
Europe constituée de Jean-Pierre Dintilhac, président de chambre honoraire à la
Cour de Cassation, Hubert Bouyer, DSPIP honoraire
et moi-même qui sera auditionnée par le comité d’organisation de la conférence
de consensus (9/1/13) en fera de même. Ces recommandations seront aussi au cœur de mes réponses à la question
« Quels sont les conditions d’une détention
utile ?) qui m’a été posée en vue des auditions publiques de la conférence
de consensus (15/2/13).
6. - Se
donner les moyens de faire respecter la dignité de la personne en détention
« Cela
passe par l’encellulement individuel dont le principe avait été réaffirmé dans
la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Reste à passer du principe à la
réalité. Le dépassement de capacité doit être interdit (numerus
clausus pénitentiaire). Les capacités doivent être redéfinies
sur la base de la règle de vie suivante : la journée de détention doit se
passer hors de la cellule, dans des lieux de vie : en ateliers, dans les locaux
de formation générale ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles
ou sportives, ou les espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux
de pratique religieuse, les parloirs, etc.
Enfin, deux points
essentiels de la loi pénitentiaire doivent être revus : l’obligation d’activité
pour le condamné prévue à l’article 27 doit être remplacée par une obligation,
pour l’administration pénitentiaire, de proposer une activité à chaque détenu ;
l’article 29 qui prévoit, timidement, que "les personnes détenues sont
consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont
proposées" doit être remplacé par un véritable droit à l’expression
collective des détenus sur l’organisation de la détention, en particulier par
la mise en place, comme dans nombre de pays européens, de "comités
consultatifs de détenus". »
A notre connaissance, le rapport élaboré
par Cécile Brunet Ludet, magistrate chargée,
au sein de l’administration pénitentiaire, d’une expérience pilote en matière d’expression
collective des personnes détenues n’a toujours pas été rendu public. C’est inacceptable.
De même,
l’administration pénitentiaire continue à se refuser de publier les chiffres de
la surpopulation carcérale, me laissant le soin de le faire sur la base des informations
qu’elle me fournit chaque mois.
Nombre record de
personnes détenues au 1er décembre 212
* Au 1er
décembre 2012, le nombre de personnes sous écrou est de 78 082 (France entière) : 16 945 prévenus détenus, 50 729 condamnés détenus (soit 67 674 personnes détenues), 9 251 condamnés
placés sous surveillance électronique en aménagement de peine, 589 condamnés
placés sous surveillance électronique en fin de peine et 568 condamnés en
placement à l’extérieur, sans hébergement pénitentiaire. Le taux de placement
sous écrou est de 119 pour 100 000
habitants et le taux de détention de 104
pour 100 000 habitants.
* Le nombre de personnes sous écrou
connaît une augmentation sur douze mois (3 974 personnes sous écrou de plus, taux d’accroissement annuel de
+ 5,4 %). L’effectif atteint le 1er décembre (78 082) reste légèrement inférieur au record absolu du 1er juillet 2012 (78 262).
* Le nombre de détenus est lui aussi en augmentation
(2 412 détenus de plus sur les 12
derniers mois, taux d’accroissement
annuel de + 3,7 %). L’effectif atteint le 1er décembre (67 674) est un record absolu (dernier record : 67 373 au
1er juillet 2012).
* Au cours des 12 derniers mois, le nombre de places opérationnelles en
détention est passé de 57 255 à 56 953 (soit
302 places de moins en un an, taux d’accroissement annuel de - 0,5 %). Le
nombre de détenus en surnombre est 13 007. Il est en hausse
sur un an (11 591, il y a douze mois, soit 1 416 de plus, taux
d’accroissement annuel de + 12 %). Cet
indice mesure l’état de surpopulation en tenant compte de la situation de
chaque établissement, de chaque quartier pour les centres pénitentiaires. Sur
la période « 2004-2012 », le maximum fut observé le 1 er juin 2004 avec un
nombre de détenus en surnombre de 16 086
et le minimum, le 1 er
août 2006, avec un nombre de détenus en surnombre de 7 717.
Plus de 13 000
détenus en surnombre. Au 14 décembre 2012, 764 personnes détenues dormaient sur
un matelas posé à même le sol, un record depuis deux ans. Ce n’est pas admissible.
***
Règle pénitentiaire européenne n°4 : «
Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant
les droits de l’homme »
Paris, le 31 décembre 2012
Pierre V. Tournier
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