Sens de la peine et responsabilité
A propos de l’article 1er de la Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
Pierre V.
Tournier
Directeur de recherches au
CNRS
Dès le
début du processus d’élaboration de la loi pénitentiaire adoptée le 13 octobre
2009, nous avons insisté, dans nos
écrits et nos prises de position sur la nécessité, pour le législateur, de
préciser ce que l’on peut attendre d’une peine privative de liberté[2].
Autrement dit, la loi devait traiter de
la question du « sens de la peine ». De plus, il était pour nous
essentiel que cette définition des objectifs de la prison s’inspira des règles
pénitentiaires du Conseil de l’Europe. La règle 106.1 dit ceci : Un
programme éducatif systématique,
comprenant l’entretien des acquis et visant à améliorer le niveau global
d’instruction des détenus, ainsi que leurs capacités à mener ensuite une vie
responsable et exempte de crime[3] doit constituer une
partie essentielle du régime des détenus condamnés [souligné par nous]. L’introduction de ce concept de
« responsabilité », dans la loi pénitentiaire, représentait donc un
enjeu symbolique fort et beaucoup plus qu’un symbole.
Dans
le projet de loi déposé au Sénat en 2008, le Gouvernement n’avait pas cru
nécessaire de consacrer un article sur
« le sens de la peine » Cet oubli fut heureusement comblé par la commission des lois du Sénat et son rapporteur Jean-René Lecerf, par
l’introduction de l’article 1er
A (nouveau) : Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté
concilie la protection effective de la
société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la
nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion afin de lui
permettre de mener une vie responsable et exempte d'infractions
[souligné par nous]. Nous avions tout de même regretté que l’on ne prenne pas
en compte le fait que la prison n’est
pas uniquement un lieu d’exécution des peines. En 2008, sur les 89 054
entrées en détention (France entière), on compte 51 515 entrées de
« prévenus », soit 58 %. Au 1er janvier 2009, sur les 66 178
personnes sous écrou, on compte 15 933
prévenus, soit 24 % de la population sous écrou. Aussi aurait-on dû rappeler
cette évidence, indiquant quel est le sens, dans un Etat de droit, des mesures privatives de liberté, avant jugement définitif.
Lors du débat au Sénat du 6 mars, aucun sénateur n’a abordé cette question de
la détention provisoire. Plus surprenant, socialistes et communistes ont tenté
de supprimer la référence au sens de la peine tel qu’il est défini par le
Conseil de l’Europe : on eût droit à ces phrases d’anthologie : Amendement
de repli. Le qualificatif moralisateur
de « responsable » n'a pas sa place dans la loi (Nicole Borvo Cohen-Seat,
communiste). Je ne suis pas enchanté par
la « vie responsable » (Louis Mermaz , socialiste). L’article 1er
A fut adopté par le Sénat.
Mais cet acquis allait être remis en cause, par la droite cette
fois-ci, à l’Assemblée national le 22
septembre, sur amendement du rapporteur en personne, M. Jean-Paul Garraud :
Le régime d’exécution de la peine de
privation de liberté concilie […] avec la nécessité de préparer l’insertion ou la
réinsertion de la personne détenue et de prévenir la commission de nouvelles infractions. »
L’argumentation [sic] du rapporteur, ancien magistrat, justifiant la
suppression de la « responsabilité » mérite d’être citée :
« Il n’apparaît pas souhaitable
d’introduire dans la loi un terme aussi ouvert à l’interprétation que celui de vie responsable ». Trop philosophique, pas assez
juridique, pour le rapporteur.
La « responsabilité » étrangère au champ juridique ? C’est très
curieusement le même type d’argument que celui invoqué par Mme Nicole Borvo
Cohen-Seat au Sénat.
Pour notre part, nous avions proposé le 5
octobre, à cette étape du débat
parlementaire, la rédaction suivante en vue de la réunion de la commission
mixte paritaire (CMP)[4] : Le régime d'exécution de la peine de privation de
liberté concilie […] avec la nécessité
de préparer l’insertion ou la
réinsertion de la personne détenue en
lui permettant de mener une vie responsable et exempte d'infractions.
La version adoptée par la CMP le
7 octobre, puis par le Sénat et par l’Assemblée nationale le 12 octobre est
ainsi libellée : Le régime d'exécution de la
peine de privation de liberté concilie […] avec nécessité de préparer
l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre
de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles
infractions
Pourquoi ce concept de
« responsabilité » devait-il absolument être présent dans ce texte ?
Dans un état démocratique et laïc,
que peut-on invoquer d’autre comme force de transformation de celles et ceux de
nos concitoyens qui ont violé la
loi en commettant délits ou crimes et
ont, de ce fait, rompu le contrat social,
sinon l’appel à la responsabilité individuelle du condamné, dans le
présent, au cours de la détention et dans le futur après la libération ?
Cette notion peut surtout être très opératoire
pour juger de ce que se passe en détention (conditions générales,
organisation de la vie sociale interne,
préparation à la sortie, etc.). Cette responsabilité des condamnés ne
peut évidemment pas s’exercer sans le contrôle de l’appareil judiciaire, sans
l’aide et le soutien de l’ensemble de la communauté nationale, par soucis de
sécurité, par humanisme, par volonté de participer à l’œuvre républicaine de civilisation[5].
[1]Préface à l’ouvrage
collectif « La responsabilité », Editions Autrement, collection
« Morales », 2002, 286 pages.
[2] Pierre V. Tournier , Loi
pénitentiaire. Contexte et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences
criminelles – Controverses, janvier 2008, p. 82-83.
---, L’avant-projet de loi pénitentiaire à
l’aune des règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre
d’histoire sociale du XXème siècle, juin 2008,
p. 4-5.
---, La loi pénitentiaire adoptée
par le Sénat. Un printemps sans hirondelle, Arpenter
le champ pénal, supplément au n°128, 6 mars 2009, 22 pages.
[3] « Crime » au sens anglais du terme,
c’est-à-dire infractions pénales (contraventions, délits, crimes).
[5] A
propos de responsabilités individuelle et collective, je me permets de
vous renvoyer au fameux discours de Jean
Jaurès prononcé devant l’Assemblée Nationale le 3 juillet 1908.
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