Par Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université
de Caen-Normandie
LA COUR RAPPELLE SES EXIGENCES EN MATIERE DE VISITES FAMILIALES AUX MINEURS EN DETENTION
LA COUR RAPPELLE SES EXIGENCES EN MATIERE DE VISITES FAMILIALES AUX MINEURS EN DETENTION
• Cour EDH,
13 février 2018, Andrey Smirnovc/
Russie, req. n° 43149/10 (en anglais)
Tout
détenu avant jugement « (…)
doit être présumé innocent avant que sa culpabilité ne soit déclarée, et une
interférence avec son droit au respect de sa vie familiale ne peut être
justifiée par les seules limitations induites par l’application d’une mesure de
privation de liberté préventive » (§ 49)
A l’âge de dix-sept ans le
requérant a été arrêté, suspecté de coups et blessures à l’encontre d’un
camarade de classe et placé en détention préventive. D’abord relâché et confié
à la garde de ses parents, il est ensuite inculpé de tentative de meurtre et placé
en détention préventive (il sera finalement reconnu coupable et condamné à cinq
ans de prison). Durant ses huit mois de détention, l’administration
pénitentiaire a refusé à ses parents plusieurs de permis de visites ; ils
n’ont été autorisés à rencontrer leur fils que seize fois, et ce toujours dans
un lieu muni d’un dispositif de séparation entre le détenu et sa famille. La
Cour de Strasbourg, s’appuyant fortement sur sa jurisprudence antérieure, a
jugé que cette situation constituait une violation de l’article 8 de la
Convention de 1950 (voir, inter alia, Messina c/ Italie (n°2), 28
septembre 2000 ; Lavents c/ Lettonie, 28 novembre 2002), qui
protège notamment le droit de toute personne au respect de sa vie familiale. Rappelant qu’il incombe aux autorités d’aider
au maintien des liens familiaux entre un détenu et sa famille proche (principe
s’appliquant évidemment aussi à la situation des détenus avant jugement,
réputés innocents en application de l’article 6§2 de la Convention), la Cour
voit dans le traitement infligé à M. Smirnov une violation de l’article 8 à un
double point de vue.
En premier lieu, les refus de visites,
qui s’analysent en une ingérence dans la vie familiale du requérant, devaient
être prévus par la loi. Or les juges de Strasbourg ont déjà eu l’occasion de
préciser, sans être pour l’instant entendus par les autorités russes (voir Moiseyev
c/ Russie, 9 octobre 2008), que la loi fédérale russe du 15 juillet 1995
(loi sur la détention préventive) ne correspond pas aux exigences de prévisibilité
exigées par la Cour de Strasbourg. Ce texte accorde en effet un pouvoir
discrétionnaire disproportionné au magistrat instructeur, en ne définissant ni
précisément les circonstances permettant de refuser les visites, ni le
fondement d’un refus, ni la durée de la mesure d’interdiction. En l’espèce, les
refus de visites (des deux parents) avaient été motivés en raison de
« tentatives du père du requérant de faire obstruction à la
procédure » (§ 10). Ce texte du 15 juillet 1995, en limitant dans tous les
cas les visites familiales des prévenus à deux par mois, constitue par ailleurs
une norme excessivement restrictive aux yeux de la Cour de Strasbourg.
Essentielles pour tout détenu, les visites le sont encore plus pour un
adolescent, primo-délinquant, sans expérience d’un monde carcéral hostile et
stressant (voir le § 49 de l’arrêt). En n’adoptant qu’une perspective
répressive et sécuritaire, la loi de 1995 ne peut pas être considérée comme un
acte « nécessaire dans une société démocratique » (§ 50). Les textes
doivent posséder une certaine dose de flexibilité, afin de pouvoir déterminer
si des limitations aussi draconiennes sont réellement opportunes pour chaque
cas particulier (exigence déjà rappelée par la Cour dans son arrêt Trosin c/
Ukraine, 23 février 2012, § 42).
En second lieu, les visites qui ont été
autorisées ont dû se dérouler dans un espace muni d’une vitre séparant le
détenu de ses visiteurs. La Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer qu’elle ne
s’oppose pas de manière générale à des modalités particulières de limitation,
de surveillance, ou d’organisation des visites (Hagyó c/ Hongrie, 23 avril 2013). Celles-ci peuvent par exemple
être justifiées par des exigences de sécurité (Lorsé c/ Pays-Bas, 4
février 2003), pour prévenir des évasions, ou d’une manière plus générale, pour
protéger les détenus et leurs visiteurs (Ciorap c/ Roumanie, 19 juillet
2007). Or, en l’espèce la privation de tout contact physique entre M. Smirnov
et ses parents n’était justifiée ni par un risque de transmission d’information
prohibées, ni par la survenance possible de violences sur ses parents, ni par
un risque sanitaire quelconque (voir le § 55 de l’arrêt). Les effets d’un tel
dispositif de séparation n’ont eu, au contraire, pour seule conséquence que
d’accentuer les conséquences négatives de l’enfermement, à un moment où ce
jeune homme avait particulièrement besoin du soutien de ses parents (§ 55).
Sans apporter de novations
particulières, l’arrêt Smirnov présente toutefois le mérite, tout comme
l’avait fait l’arrêt Khoroshenko c/
Russie du 30 juin 2015 à l’égard des détenus condamnés à de longues peines,
de rappeler l’importance du maintien des liens familiaux pour les personnes
privées de leur liberté, qu’elles soient prévenues ou condamnées, permettant ainsi
de donner plein effet à la Règle pénitentiaire 24.4 selon laquelle « Les
modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de
développer des relations familiales de façon aussi normale que possible ».
Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université
de Caen-Normandie
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