Observatoire
de la privation de liberté
et des sanctions et mesures appliquées dans la
communauté (OPALE)
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Mercredi 21
octobre 2015, la Commission des Lois de l’Assemblée nationale examinait, dans
le cadre des commissions élargies, les crédits des programmes de la mission
Justice. Dans l’une de ses interventions concernant la réforme pénale (loi
du 15 août 2014), Christiane Taubira déclarait, devant la commission, ceci
« de 2001 à 2011, la récidive a triplé ».
La Garde des Sceaux citait ainsi, de façon approximative, une déclaration faite
par le Président de la République, dans le Monde daté du 30 août 2013 « Les peines planchers, je les ai contestées pour
leur caractère automatique et leurs conséquences. Non seulement elles sont
contraires au principe d'individualisation de la sanction, mais, loin d'empêcher la récidive, celle-ci a triplé de 2004
à 2011 ».
J’ai
publié une analyse précise de ces étranges chiffres dans
mon livre « La question pénale au fil de l’actualité. Chroniques
d’outre-nombre », L’Harmattan, 2014, chapitre 45. «
Récidive : chiffres en folie. Une conférence de consensus sans effet au
sommet de l’Etat ? » Vous trouverez ce texte infra, dont,
bien entendu, Christiane Taubira avait été destinataire, comme les membres de
son cabinet.
L’Observatoire de la récidive et de la désistance, promis depuis août 2013 par
la Garde des Sceaux, dont on attend l’installation comme on attendant Godot,
permettra-t-il d’éviter de telles déclarations à l’emporte-pièce ?
Pierre V. Tournier
Directeur de recherches au CNRS (en retraite)
LA QUESTION PÉNALE
AU FIL DE
l’ACTUALITÉ
Chroniques d’outre-nombre
Pierre V.
Tournier
Chapitre 45.
Récidive : chiffres en folie[1]
Une conférence de
consensus sans effet au sommet de l’Etat ?
1 - Choses lues, choses entendues cet été
Le 23 août 2013, aux journées d’été
d’Europe Ecologie-les Verts, Christiane Taubira indique que « le taux de récidive est de plus de 57 % ».
Sur France Info, le 30 août 2013, la Garde des Sceaux affirme que « le taux de récidive n'a cessé d'augmenter de 2007 à 2012 ».
Interview de François Hollande dans Le Monde daté du 30 août 2013 : « Les peines planchers, je les ai contestées pour leur caractère
automatique et leurs conséquences. Non seulement elles sont contraires au
principe d'individualisation de la sanction, mais, loin d'empêcher la récidive,
celle-ci a triplé de 2004 à 2011 ».
Dans l’éditorial du quotidien Le Monde, daté 3 septembre 2013, intitulé
« Loi Taubira : le courage et la nécessité », on lit ceci :
« […] la récidive dont le taux est passé de 8 % des condamnés en 2007 à
11,1 % en 2010 ».
En résumé : taux de récidive de 8 % en
2007, 11 % en 2010, 57 % aujourd’hui ? Bigre, c’est effectivement
explosif et invraisemblable. Cherchez l’erreur. Et tout cela après des mois de travaux de la
conférence dite de consensus sur la prévention de la récidive et l’audition
d’une multitude d’experts en tous genres. Ne nous décourageons pas, continuons
d’expliquer. Désolé, c’est un peu technique, mais vous non plus, ne vous découragez
pas…
2 - Un taux peut en cacher un
autre
L’approche
quantitative du champ pénal passe naturellement par le maniement de nombreux
taux : taux d’accroissement d’une population, taux d’encadrement des
détenus (par surveillant), taux de personnes sous écrou par habitant, taux de
détention par habitant, taux d’entrées sous écrou par habitant, taux d’entrées
en détention par habitant, taux de mortalité sous écrou, etc. Dans des
circonstances voisines qu’il convient de préciser, on utilise aussi les termes
de proportion (par exemple, proportion de personnes sous écrou non encore
jugées), d’indice (indice spécifique
d’usage d’une sanction ou mesure appliquée dans la communauté), de poids
(poids de la détention provisoire,
poids des alternatives à la détention), voire de quotient. Il s’agit chaque
fois de calculer un rapport de deux grandeurs A et B, mais les relations qui
existent entre elles peuvent être de nature différente […] Mettre en
rapport, au sens arithmétique de l’expression, telle grandeur (A) avec telle
autre (B) est un des premiers stades de l’analyse. La signification de
l’opération va bien évidemment dépendre de la nature des quantités[2].
3 - Taux de recondamnation dans
des cohortes de sortants de prison
En parlant d’un « taux de récidive de
plus de 57 % », Christiane Taubira a sans doute en tête la dernière étude
réalisée par la direction de l’administration pénitentiaire, en matière
d’analyse de de suivi de cohorte de condamnés libérés (levée d’écrou). Les
données ont été rendues publiques en août 2011[3]. En
examinant le casier judiciaire de condamnés libérés entre le 1er
juin et le 31 décembre 2002, 5 ans après
leur libération, on trouve un taux de recondamnation de 59 %.
Il n’est pas question ici de récidive au
sens de la « récidive légale », mais d’un taux de recondamnation
(dans les 5 ans). Pour calculer ce taux, on prend en compte l’existence, sur le
casier, d’une nouvelle condamnation pour des faits postérieurs à la date de
libération et ce indépendamment de la nature de la nouvelle condamnation
(amende, travail d’intérêt général, sursis simple, avec mise à l’épreuve, peine
ferme privative de liberté, etc.) et indépendamment de la nature des nouvelles
infractions. Si, dans ce calcul, on se limite aux nouvelles condamnations à la
prison ferme, le taux n’est plus que 46 %.
Ces taux mesurent la fréquence d’apparition
d’un événement (une nouvelle condamnation) dans une population donnée (cohorte
de sortants de prison). On rapporte donc un nombre d’événements (A) à la
population susceptible de connaître cet
événement (B). Cette fréquence peut être considérée comme une mesure
expérimentale d’une probabilité d’apparition : c’est un calcul de risque,
fondement de l’approche actuarielle.
4. - Evolution du taux de recondamnation dans
des cohortes de sortants de prison
Curieusement, cet aspect n’avait pas été abordé par l’étude publiée en
2011. La précédente enquête nationale portant sur des sortants de
« 1996-1997 »[4]
donnait un taux de nouvelles condamnations, 5 ans après la libération de 52 %,
et un taux de prison ferme de 41 %. Ce qui donne une augmentation de + 7 points
pour les taux de recondamnation et de + 5 points pour les taux de
recondamnation à la prison ferme[5].
Mais
quand on regarde les évolutions par infraction, on observe une baisse des taux
pour les vols simples ou les vols avec violence, les recels et les viols sur
mineur. En revanche on note une hausse des taux pour les conduites en état
d’ivresse, les escroqueries, filouteries, abus de confiance, les infractions à
la législation sur les étrangers, les homicides volontaires. Enfin la stabilité
est remarquable pour les faux et usages de faux documents administratifs.
Ainsi
les hausses observées, entre la cohorte « 1996-1997 » et la cohorte
« 2002 », sur les taux globaux
peuvent être, en partie, liées à un changement de structure selon la nature de
l’infraction. Disposer de taux globaux ne suffit donc pas à caractériser une évolution (à la baisse ou à
la hausse). Là aussi la politique du chiffre unique est à proscrire.
5. - Proportion de
« récidivistes » parmi les condamnés pour crime ou délit d’une année
Les
données qui suivent sont produites, chaque année, par la sous-direction de la
statistique du ministère de la Justice[6].
Le tableau 1 concerne les condamnés d’une année pour crime et le tableau 2 les
condamnés d’une année pour délit.
Tableau 1 - Proportion de récidivistes (récidive
légale) parmi les condamnés pour crime
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
|
Ensemble
|
3 244
|
3 402
|
3 305
|
3 245
|
2867
|
2 731
|
2 670
|
2 497
|
Récidivistes
|
108
|
98
|
130
|
128
|
129
|
126
|
160
|
154
|
Proportion
|
3,3 %
|
2,9 %
|
3,9 %
|
3,9 %
|
4,5 %
|
4,6 %
|
6,0 %
|
6,2 %
|
Source : annuaire statistique de la
justice
Tableau 2 - Proportion de récidivistes (récidive
légale) parmi les condamnés pour délit
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
|
Ensemble
|
410 559
|
476 654
|
529 447
|
544 845
|
553 132
|
554 539
|
475 838
|
470 319
|
Récidivistes
|
25 181
|
29 430
|
36 832
|
43 873
|
51 051
|
54 383
|
52 993
|
56 841
|
Proportion
|
6,1 %
|
6,2 %
|
7,0 %
|
8,1 %
|
9,2 %
|
9,8 %
|
11 %
|
12 %
|
Source : annuaire statistique de la
justice
C’est de cela dont il semble s’agir dans la déclaration de Christiane Taubira à France Info, dans celle de François Hollande au Monde et dans l’éditorial de ce même quotidien. La garde des Sceaux semble disposer du taux de 2012 (peu vraisemblable), le Président de la République de celui de 2011, mais pas de 2012 (possible), Le Monde celui de 2010 mais pas ceux de 2011 ou de 2012.
J’ai pu
obtenir les taux pour 2011, auprès du cabinet de la garde des Sceaux. Les
chiffres présentés supra correspondent à peu près à ceux cités par le
Monde et montrent que les propos du président de la République « La
récidive a
triplé de 2004 à 2011 » sont très exagérés : 12,1 / 6,1 = 1,98.
Il aurait dû dire « la récidive a pratiquement doublé de 2004 à
2011 ». Mais plus grave, est-ce
bien « la récidive » qui a doublé ?
L’indicateur ainsi calculé n’est pas un « taux », au sens où
l’on a parlé supra de taux de recondamnation, rapport d’un nombre d’événements (A) à la population
susceptible de connaître cet événement
(B), mesure expérimentale d’une probabilité.
Ici il
s’agit de la division d’une partie A par
le tout B. Dans ce cas, on utilisera de préférence le terme de proportion ou de
poids. B représente les condamnations prononcées d’une année donnée et A
celles pour lesquelles on a retenu l’état de récidive légale. On parlera de
proportion de récidivistes (au sens de la récidive légale).
D’ailleurs, plus que la proportion, c’est
l’évolution du nombre absolu qui peut être intéressante. De 2009 à 2010, le
nombre de « récidivistes » a diminué de - 1 390 (- 2,6 %) et pourtant
la proportion de récidivistes a augmenté de 1,2 points. Dans le même temps le
nombre de non récidivistes a diminué de - 77 311 (- 15, 5 %). Ainsi à
nombre de récidivistes constant (la récidive
n’évolue pas, du moins d’après ce critère, fort discutable, voir infra),
la proportion de récidivistes pourrait mécaniquement augmenter, si le nombre de
non récidivistes diminue.
Rêvons
un peu : si la délinquance cessait de recruter de nouveaux
« praticiens » (bonne nouvelle), la proportion de récidivistes
pourrait, un jour, avoisiner les 100 % et le président pourrait affoler la
population en annonçant que la récidive a été multipliée par 10.
Mais
au-delà de cette question d’arithmétique, n’oublions pas ce que rappelait le
magistrat Jean-Paul Jean lors des
audiences publiques de la conférence de consensus, sur la prévention de la
récidive : « l’accroissement
des condamnations en état de récidive légale sur la période 2004-2010 ne
traduit pas une augmentation du nombre des faits de récidive, mais une
augmentation mécanique des cas légaux de
récidive du fait des évolutions des textes et des pratiques des juridictions »[7].
Alors la
récidive, çà monte ou çà descend ? Nous n’avons pas, aujourd’hui les
moyens de répondre à une question ainsi formulée. Une certitude, le Président
de la République était bien mal informé.
[2] Tournier
P.V., Dictionnaire de démographie pénale.
Des outils pour arpenter le champ pénal,
L’Harmattan, Coll. Criminologie, déc. 2010, 211 p.
[3] Direction de
l’administration pénitentiaire, « Les risques de récidive de sortants
de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études
pénitentiaires et criminologiques, n°36, mai 2011.8 p.
Voir aussi Arpenter le Champ pénal n°239 du
5 septembre 2011 : « En
effet, nous avons interrogé la direction de l’administration pénitentiaire, le
9 août, sur la composition de l’échantillon dont un aspect nous intriguait
(structure selon le quantum de la peine prononcée) ». Nous n’avons jamais
réussi à avoir des explications sur cette anomalie.
[4] Kensey A.,
Tournier P.V., Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes condamnées,
libérées en 1996-1997 : examen de
leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon national
aléatoire stratifié selon l’infraction), Paris, Ministère de la Justice ,
direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux &
Documents, n°68, 2005, livret de 63
pages + CD ROM.
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