La Cour de Strasbourg rappelle les exigences
de protection des détenus séropositifs
par Jean-Manuel Larralde,
professeur de droit public à l’Université de Caen-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)
• Cour EDH, 9 juillet 2015, Martzaklis
et a. c/ Grèce, req. n° 20378/13
Pour la Cour, « les requérants ont été - et sont peut-être encore pour
certains d’entre eux - exposés à une souffrance physique et mentale allant
au-delà de celle inhérente à la détention. Elle conclut alors qu’ils ont subi
un traitement inhumain et dégradant et que la ségrégation dont ils ont fait
l’objet manque de justification objective et raisonnable car elle n’était pas
nécessaire compte tenu des circonstances » (§ 75).
Les exigences posées par la Cour européenne des droits
de l’homme concernant l’exercice des soins en détention sont bien connues, les
exigences posées par le célèbre Kudla c/
Pologne du 26 octobre 2000 étant évidemment toujours
valides : en vertu de cette décision de principe, toute détention doit se dérouler « dans des conditions qui sont compatibles
avec le respect de la dignité humaine », ce qui nécessite la
protection de la santé « notamment par l’administration des soins
médicaux requis » (§ 94). Mais cet arrêt a désormais plus de quinze
ans et la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion d’affiner et de
préciser sa jurisprudence en la matière[1].
En utilisant la notion de « personnes vulnérables », la Cour a ainsi
renforcé les exigences posées sur les Etats, en cherchant à imposer des
standards plus protecteurs pour ces personnes privées de liberté nécessitant
des soins spécifiques. Figurent notamment dans cette catégorie les
personnes lourdement handicapées[2],
celles souffrant de pathologies mentales sévères[3],
ou encore les personnes atteintes séropositives au VIH Sida, en raison de la
fragilisation de leur système immunitaire.
C’est
à cette dernière situation que se réfère l’arrêt du 9 juillet 2015. Ressortissants grecs, les requérants ont été (ou sont encore) détenus à
l’hôpital Aghios Pavlos, qui est la section psychiatrique de la prison de
Korydallos au Pirée. Séropositifs et présentant un taux d’invalidité supérieur
à 65%, les requérants (avec d’autres codétenus) se sont plaints au Procureur de
leur conditions de détention, en dénonçant tout à la fois la surpopulation
chronique de l’établissement et la taille insuffisante des cellules, l’absence
de séparation entre les malades, les amenant à côtoyer des détenus souffrant de
maladies contagieuses, la pauvreté nutritionnelle de la nourriture fournie,
l’impossibilité de laver quotidiennement leur linge, l’absence de personnel
médical suffisamment formé, ou encore l’interdiction qui leur était faite de ne
pas toucher les barreaux à travers lesquels les infirmières passaient les
médicaments afin d’éviter tout risque d’infection[4].
Cette plainte, comme celle adressée au conseil de l’hôpital de la prison, sont
restées sans suite.
Sans révolutionner la
question des soins à apporter aux détenus les plus vulnérables, l’arrêt Martzaklis
et a. c/ Grèce, qui condamne
l’Etat pour des violations combinées des articles 3 (prohibition de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), 13 (droit à un recours
effectif) et 14 (prohibition de la discrimination) apporte deux types de
précisions essentielles.
D’une part, s’appuyant
à nouveau sur l’arrêt Kudla (§ 64), la Cour rappelle que s’il n’exige
jamais d’obligation pour les autorités nationales de libérer un détenu pour des
motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil pour recevoir un
traitement spécifique, les soins dispensés en détention doivent toujours être
adéquats, c'est-à-dire être rapides, réguliers et appropriés[5]. En l’espèce, les
conditions particulièrement dégradées de détention, alliées à des diagnostics
médicaux défaillants, n’ont pas permis d’assurer des soins respectueux de la
dignité humaine des détenus concernés. La Cour rappelle par ailleurs que les
détenus séropositifs (qui ne présentent donc pas de symptômes de la maladie) ne
doivent pas subir un isolement, hormis pour leur assurer des conditions de
détention plus appropriées avec leurs besoins spécifiques. En conséquence,
« si un détenu séropositif (doit) être séparé des autres détenus, il
devrait être placé dans un endroit en adéquation avec ses besoins médicaux et
son bien-être » (§ 71). En
l’espèce, le transfert des intéressés à l’hôpital pénitentiaire Aghios Pavlos[6]
a conduit les détenus à être à proximité de détenus souffrant de maladies
telles que la tuberculose ou l’hépatite et a donc conduit à les exposer « à une souffrance physique et mentale allant
au-delà de celle inhérente à la détention », constitutive d’une
violation de l’article 3 de la Convention (§ 75).
D’autre
part, l’arrêt insiste à nouveau sur la nécessité des voies de recours ouvertes
aux personnes privées de leur liberté. Parmi les lignes directrices de la Cour
concernant les prisons figure depuis plusieurs années l’obligation d’assurer
aux détenus dans l’ordre interne des voies de recours adéquates leur permettant
de se plaindre de leurs conditions de détention[7].
Le récent arrêt Yengo c/ France du
21 mai 2015 a ainsi souligné la possibilité désormais ouverte aux détenus d’utiliser la voie du
référé-liberté devant le juge administratif français, qui peut désormais de « prononcer des injonctions sur le fondement des
articles 2 et 3 de la Convention, en vue de faire cesser rapidement des
conditions de détention attentatoires à la dignité »[8].
L’existence de ces voies de recours adéquates est évidemment encore plus
indispensable concernant les détenus les plus vulnérables[9].
Or, en l’espèce, à la date d’introduction de leur requête, et compte
tenu de leur état de santé à l’époque, les requérants ne disposaient pas d’un
recours par lequel ils pouvaient se plaindre efficacement de leurs conditions
de détention à l’hôpital de la prison de Korydallos ou demander leur mise en
liberté sous condition. L’accès au Procureur superviseur de la prison ne
pouvait notamment pas être analysé comme une voie de recours adéquate, puisqu’aucun
détenu n’a jamais obtenu une quelconque réponse positive de cette autorité dans
des situations comparables (§ 78).
Si l’arrêt Martzaklis et a. c/ Grèce a
rapidement vieilli (puisque la loi grecque n° 4242/2014 entrée en vigueur le 28
février 2014) permet désormais la mise en liberté ou la liberté
conditionnelle pour les détenus pour des motifs de santé, il offre néanmoins
des lignes directrices importantes pour les Etats dont les standards juridiques
sont encore bien en deçà de ces exigences.
Jean-Manuel Larralde,
professeur de droit public à
l’Université de Caen-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)
[1] Voir la fiche de la Cour
européenne des droits de l’homme : « droits des détenus en matière de
santé », source : http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Prisoners_health_FRA.pdf
[3] Voir inter alia, Renolde c/ France, 16
octobre 2008 ; Raffray Taddei c/
France, 21 décembre 2010.
[8] CE, réf., 22 décembre
2012, section française de l’Observatoire
international des prisons.
[9] Ainsi en est-il notamment de la possibilité d’engager un recours
et d’obtenir réparation à la suite d’une contamination par le VIH en raison de
soins prodigués dans un établissement pénitentiaire. Cour EDH, Gorelov c/ Russie, 9 janvier 2014.
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