Professeur de droit public à l’Université de Caen Basse-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)
LA COUR DE
STRASBOURG RAPPELLE SES EXIGENCES FACE AUX SITUATIONS DE SURPEUPLEMENT CARCERAL
• Cour EDH, 12 mars 2015, Muršić c/ Croatie, req. n° 7334/13 (en anglais)
Si « la taille des cellules
dans lesquelles le requérant a été placé n’a pas toujours été adéquate (…) ceci s’est accompagné dans le même temps d’une
liberté de mouvement suffisante et d’une détention dans des conditions
appropriées ». Dans ces circonstances la Cour « ne peut pas établir que les conditions de détention du requérant (…) ont atteint le
niveau de sévérité exigé pour caractériser le traitement d’inhumain ou de
dégradant » (§ 68)
Les organes de Strasbourg ont depuis longtemps posé, un certain nombre
d’exigences relatives aux conditions de détention et plus spécifiquement applicables
aux situations de surpeuplement carcéral. Depuis 1976, la Commission européenne des droits de
l’homme a ainsi estimé que « des conditions de détention constituant une
violation directe de l'article 3 de la Convention pourraient être condamnées
par la Commission »[1].
Le début de la décennie 2000 a ensuite permis à la Cour de préciser quels
éléments concrets[2]
sont pris en compte pour déterminer la conformité de conditions matérielles de
détention avec la Convention européenne des droits de l’homme[3]. Dans les
affaires Dougoz et Peers c/ Grèce des
6 mars et 19 avril 2001, la Cour indique ainsi qu’elle se fonde sur des
éléments objectifs tels que la surpopulation, la promiscuité, l’espace ou la
faible luminosité pour conclure à la violation de l’article 3, alors même
qu’elle relève bien qu’aucune volonté d’humilier les détenus n’était établie.
Pour les juges de Strasbourg, des conditions déplorables de détention,
contraires au principe de dignité humaine, constituent un traitement inhumain
ou dégradant, entraînant un constat de violation de l’article 3. Et c’est l’arrêt Ananyev
c/ Russie du 10 janvier 2012 qui a posé la grille d’analyse désormais
appliquée par la Cour. Afin de déterminer si des conditions matérielles de
détention respectent bien l’article 3 de la Convention, trois exigences doivent
être respectées : chaque
détenu doit avoir une possibilité de couchage individuel ; il doit
disposer d’au moins 3 m² d’espace au sol ; enfin, la surface globale de la
cellule doit être telle qu’elle autorise les détenus à circuler librement entre
les meubles et l’équipement. Si ces trois éléments sont indéniablement cumulatifs,
le fait qu’un détenu dispose de moins de 3 m2 d’espace au sol donne toutefois
lieu à une forte présomption que les conditions de détention constituent un
traitement dégradant.
Sans
bouleverser ces éléments généraux, l’arrêt Muršić permet à la Cour de
rappeler l’ensemble de ses exigences. Saisie par un requérant condamné à onze
ans de détention qui dénonçait le manque d’espace
personnel, les mauvaises conditions sanitaires et d’hygiène, la piètre qualité de la
nourriture, l’absence de possibilités de travailler, et l’accès insuffisant à
des activités récréatives et éducatives, la Cour ne retient pas de violation de
l’article 3 de la Convention. Certes, le volume d’espace alloué au requérant pendant
la détention n’a pas toujours respecté
les exigences posées par l’arrêt Ananyev[4],
mais cet élément est seulement jugé « préoccupant »
par la Cour (§ 68). Il faut, en effet, considérer d’autres éléments concrets de
la détention, qui aboutissent à ne pas conclure en l’espèce à un traitement
« inhumain » ou « dégradant ». Le requérant était, en effet, autorisé à circuler librement trois heures par jour hors de sa cellule qui était
pourvue d’une ouverture laissant passer sans entrave la lumière naturelle et l’air extérieur, ainsi que d’un
point d’eau potable, d’un lit individuel et rien n’empêchait le détenu de
circuler librement à l’intérieur de la cellule. En outre, plusieurs activités étaient accessibles à l’extérieur des cellules telles
que des activités sportives et la bibliothèque. Alors que l’on avait pu penser
que la Cour européenne s’était à un moment orientée vers une condamnation
automatique des Etats n’offrant pas un espace personnel suffisant aux détenus[5], elle a en réalité adoptée une approche plus subtile,
dans laquelle les situations de surpopulation carcérales ne sont contraires aux
exigences conventionnelles que si elles se doublent de conditions sanitaires
dégradées, d’une accessibilité insuffisante dans la cellule, et d’activités
hors de la cellule insatisfaisantes. Les juges de Strasbourg calquent ici leur
position sur celle du CPT qui a précisé depuis plus de vingt ans que la
situation s’avère préoccupante lorsque l’on constate « dans un même établissement une combinaison
de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d'un accès inadéquat aux
toilettes ou locaux sanitaires. L'effet cumulé de telles conditions peut
s'avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers »[6].
[1] Com. EDH, 11 décembre 1976, Eggs
c. Suisse, req. n° 7341/76.
[2] En s’appuyant fréquemment sur les rapports de visites
et les normes posées par le Comité européen pour la
prévention de la torture (CPT). Cette
utilisation des exigences posées par le CPT se retrouve dans l’arrêt Muršić (voir le § 61 de l’arrêt).
[3] Voir la fiche thématique
de la Cour « conditions de détention et traitement des détenus »,
source : http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Detention_conditions_FRA.pdf
[4] Le requérant a disposé
d’un espace personnel variant entre 3 et 7,39 m², qui est même tombé en-dessous
de 3 m² pendant 27 jours. Le requérant a même allégué n’avoir disposé que de
2.25 m2 pendant quelques
temps (ce qui n’a toutefois pas été retenu par la Cour). Voir les § 59 et s. de
l’arrêt.
[5] Cour EDH, Sulejmanovic c/ Italie, 16 juillet
2009. Dans cet arrêt la Cour souhaitait distinguer les situations où « le
manque d’espace personnel pour les détenus était tellement flagrant qu’il
justifiait, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 » et
celles où, lorsque le manque de place n’est pas « flagrant »,
la violation de l’article 3 ne sera constatée que si cette surpopulation se
double de difficultés telles qu’un insuffisant « accès à la lumière et
à l’air naturel » (§ 43 et s. de l’arrêt).