Par Pierre V. Tournier
Lors de la discussion de la loi
pénitentiaire de 2009, le Parlement avait refusé – à juste raison - de tirer un
trait sur le principe de l’encellulement individuel - et ce contre l’avis du
Gouvernement de l’époque - tout en reconnaissant l’impossibilité de le mettre en
application sans délai.
Ainsi
l’article 100 de la loi du 24 novembre 2009
précisait : « Dans la limite de cinq ans à compter de la
publication de la présente loi [25 novembre 2009], il peut être dérogé au
placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt au motif tiré de ce
que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues
présentes ne permet pas son application. Cependant, la personne condamnée ou,
sous réserve de l'accord du magistrat chargé de l'information, la personne
prévenue peut demander son transfert dans la maison d'arrêt la plus proche
permettant un placement en cellule individuelle ».
A un mois de cette échéance, où en est
–on ?
Au 1er octobre 2014, la
population sous écrou compte 77 739 personnes dont 66 494 sont détenues.
3724
places opérationnelles inoccupées
Pour héberger cette population,
l’administration pénitentiaire dispose, à cette date, de 58 054 places opérationnelles. Sur ce nombre, on compte 3 724 places inoccupées, (soit 6,4 %). Les
raisons pour lesquelles une place opérationnelle est inoccupée sont, bien
entendu, de natures diverses. Ainsi peut-il
s’agir d’un nouvel établissement dont la mise en service va être nécessairement
progressive. C’est le cas, par exemple,
du centre pénitentiaire d’Orléans Saran, inauguré le 25 juillet dernier,
qui comprend 489 places en quartier « maison d‘arrêt » (0 détenu au
1/10/14), 60 places en quartier de semi-liberté (0 détenu) et 210 places en
quartier « centre de
détention » (152 détenus).
Ce qui donne, pour l’ensemble de cet établissement, un
nombre de places disponibles de 607. Ce
nombre va diminuer au fur et à mesure de l’affectation de détenus venant, en
particulier, des maisons d’arrêt fort vétustes d’Orléans et de Chartres, à
condition que les personnels de surveillance affectés soient en nombre
suffisant. C’est la deuxième cause possible de l’existence de places inoccupées :
il se peut que toute la capacité d’un établissement ne soit pas utilisée, faute de personnels. Il
se peut aussi, que dans tel ou tel ressort de tribunal de grande instance, les
capacités du parc pénitentiaire soient supérieures aux besoins – de façon
conjoncturelle ou structurelle - sans parler des disfonctionnements possibles dans la gestion des affectations
dont les causes vont, évidemment dépendre de la nature de l’établissement
(maison d‘arrêt vs établissement pour
peine).
Au 1er octobre 2014, on compte
34 019 places opérationnelles en maisons d’arrêt (MA) ou quartiers MA,
19 582 en centres de détention (CD) et quartiers CD, 2 167 en maisons
centrales (MC) et quartiers MC, 609 en centres pour peine aménagée (CPA) ou
quartiers CPA, 1 006 en centres de
semi-liberté (CSL) ou quartiers CSL, 353
en établissements pour mineurs (EPM) et 318 en centres nationaux d’évaluation
(CNE) ou quartiers CNE.
La répartition des places inoccupées
selon la nature des établissements est la suivante : 1 018 places
inoccupées en MA (soit 3 % des places opérationnelles en MA), 2 011 en CD ou MC (9 % des places), 207 en CPA (34 % des places) 303 en CSL (30 %
des places), 105 en EPM (30 % des places), 115 en CNE (36 % des places).
Ainsi, environ 1 place sur 10 est inoccupée
en CD et MC et 1 place sur 3 dans les autres établissements pour peine, contre
3 pour 100 en maison d’arrêt.
La part de places inoccupées par rapport au
nombre de places opérationnelles est de 16 % dans la direction interrégionale (DI)
de Dijon, 12 % dans la DI de Bordeaux, 7,1 % dans la DI de Rennes, 6,0 % dans
la DI de Strasbourg, 5,2 % Outre-Mer, 5,1 % dans la DI de Lyon, 4,8 % dans la DI
de Lille, 4,1 % dans la DI de Toulouse,
3,4 % dans la DI Marseille et 2,7 % dans
la DI de Paris. Ces écarts sont en partie liés à la composition du parc dans
chaque DI. Si on se limite aux
établissements pour peine, ces proportions sont de 16 % à Rennes, 13 % à Bordeaux,
12 % à Dijon, 11 % à Paris, Strasbourg et Lyon, 10 % à Toulouse, 9,3 % à Lille, 9,2 % à Marseille et 4,0 % Outre-Mer.
12 164
détenus en surnombre
Nous l’avons vu supra, sur les 58 054
places opérationnelles, 3 724 places
sont inoccupées au 1er octobre 2014 pour telle ou telle raison. Aussi les 66
494 détenus sont-ils, de fait, répartis dans 58 054 – 3 724 =
54 330 places. Ce qui donne, à cette date, un nombre de détenus en
surnombre de 66 494 - 54 330 = 12 164. Lorsque l’on se contente, pour mesurer la
surpopulation carcérale, de rapprocher, au niveau national, le nombre de
détenus et le nombre de places (c’est ce que nous avons appelé la « surpopulation
apparente »), on obtient un chiffre
de 66 494 – 58 054 =
8 444, sous-estimant ainsi le phénomène de façon considérable[1].
Ces détenus en surnombre sont 11 800
en maisons d’arrêt ou quartiers MA (11 105 en métropole, 695 outre-mer) et 364 en établissements pour peine (97 en
métropole et 267 outre-mer).
La circulaire du 3 mars 1988
Les
capacités opérationnelles sur lesquelles reposent les calculs présentés supra sont établies par l’administration
pénitentiaire sur la base d’une note datée du 3 mars 1988. Elle se réfère uniquement à la superficie de
la cellule individuelle ou collective ou du dortoir selon le barème suivant :
superficie de « moins de 11 m2 » = 1 place,
« 11 à 14 m2
inclus » = 2 places, « 14 à 19 m2 inclus » =
3, « 19 à 24 m2
inclus » = 4, « 24 à 29 m2 inclus » = 5, « 29 à
34 m2 inclus » = 6, « 34 à 39 m2 inclus »
= 7, « 39 à 44 m2 inclus » = 8, « 44 à 49 m2 inclus
» = 9, « 49 à 54 m2
inclus » = 10, « 54 à 64 m2 inclus » = 12, « 64
à 74 m2 inclus » = 14, « 74 à 84 m2
inclus » = 16, « 84 à 94 m2 inclus
» = 18, « plus de 94 m2 inclus» = 20 places[2].
A notre connaissance, ce mode de calcul n’a pas évolué
depuis. Ainsi depuis plus de 25 ans, les
Gardes des Sceaux successifs, de droite ou de gauche, n’ont
pas ressenti le besoin de revenir sur le sujet.
Quant aux données
statistiques concernant la composition de ce parc et son utilisation, elles sont
très rudimentaires, voire divergentes d’une source à l’autre. Dans le rapport
d’évaluation de la loi pénitentiaire de 2009 des sénateurs Nicole Borvo
Cohen-Seat et Jean-René Lecerf[3], on
lit ceci : « L’administration pénitentiaire n’est pas en mesure aujourd’hui
de déterminer le taux d’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt. Le
nombre de cellules d’une place – établi conformément à une circulaire de 1988, sur la base de leur surface (de 5 à
11 m2) - s’élève à 48 811.
C’est un tout autre chiffre
que l’on trouve, en annexe, du rapport de la mission d’information présidée par
Dominique Raimbourg. Un tableau, produit
par l’administration pénitentiaire, donne le nombre de places théoriques (et non
opérationnelles) en fonctions de la surface des cellules au 1er août
2012.[4]
D’après cette source, il y
aurait 49 159 cellules et 58 656 places théoriques dont 40 867 cellules individuelles, au sens de la circulaire de
1988, soit des cellules de moins de 11 m2. Mais parmi celles-ci, on compte
34 cellules de moins de 5 m2, 739 de 5 à moins de 6 m2, 865 de 6 à moins de 7 m2, 2 036 de 7 à moins de 8 m2
, 6 113 de 8 à moins de 9 m2
et donc 31 080 cellules de 9 à
moins de 11 m2,
Rappelons, que selon les règles
pénitentiaires européennes (RPE)[5] :
« Chaque détenu doit en principe être logé
pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré
comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus »
(18.5). « Une cellule doit être
partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être
occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter » (18.6). « Dans
la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être
contraints de partager une cellule pendant la nuit » (18.7). Dans le
commentaire de ces règles, on lit ceci : « Bien que le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants (CPT) n’ait jamais établi de
telle norme, il y a des indications qu’il considère de taille souhaitable une cellule
individuelle de 9 à 10 m2. La
France disposerait donc d’environ
30 000 de ces cellules individuelles pour 66 500 détenus.
Ainsi, à un mois de la fin du
moratoire introduit dans la loi du 24 novembre 2009, on ne dispose ni de la
répartition des cellules selon la surface et le nombre de places
opérationnelles, ni de celle selon le nombre de détenus effectivement hébergés.
Les
conditions minimales pour assurer le respect de la dignité des personnes
détenues
Au-delà de cette question
primordiale de l’état des lieux selon les normes de la circulaire de 1988, il
est évident que la superficie nécessaire à chaque personne détenue pour que les
conditions de détention respectent la dignité de la personne va dépendre du
temps que le détenu passe dans cet espace, et donc de l’organisation de la vie
dans l’établissement. Ainsi l’encellulement individuel peut-il devenir un
traitement dégradant, si le détenu y reste 22 heures sur 24, qui plus est s’il est condamné à
l’oisiveté, et si ces conditions de détention s’installent dans la durée. Aussi
nous parait-il de la première importance de redéfinir les capacités des
établissements pénitentiaires en se basant sur la nouvelle version des règles
pénitentiaires européennes (RPE). Dans un courrier adressé à M. Michel Mercier,
garde des Sceaux, sur cette question, le 23 novembre 2010 - laissé sans réponse – nous proposions
de « graver les règles pénitentiaires européennes… dans le béton des
nouvelles prisons ». Que voulions-nous dire par ce slogan ?
Un établissement (maison d’arrêt ou
établissement pour peine) où les RPE seront respectées, c’est un établissement
où les personnes détenues pourront se préparer à « agir en personne
responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société » pour
reprendre les termes de l’article 24 de la loi
15
août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité
des sanctions pénales. C’est un établissement où la journée de
détention se passerait hors de la cellule (de la chambre ?) dans les
« lieux de vie » : en ateliers, dans les locaux de formation générale
ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles ou sportives, ou les
espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux de pratique
religieuse, les parloirs, etc. Un établissement où seront appliquées
- la
RPE. 5 : « La vie en prison est alignée aussi étroitement que
possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison » ;
-
La règle 25.1 : Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré ;
-
la règle 25.2 : Ce
régime doit permettre à tous les détenus de
passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour
assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux.
Ainsi un établissement pénitentiaire de 200
places opérationnelles qui respecte les normes du Conseil de l’Europe, c’est
avant tout un établissement qui comprend 200 cellules individuelles, espaces de
repos, d’intimité, de réflexion, de travail intellectuel, de retour sur soi.
C’est un établissement où sont hébergés au maximum 200 détenus (numerus clausus). C’est aussi un
établissement qui dispose des superficies suffisantes pour organiser les
activités des 200 détenus dans la journée. Si l’on raisonne sur une telle base,
de combien dispose-t-on de places en France ? Nous n’en savons rien. Comment faire de la
prospective, comment légiférer utilement dans un tel état d’ignorance ?
Que faire ?
La seule
façon honnête de faire serait de reconnaître, que l’échéance du 25 novembre
2014 n’a été préparée techniquement ni par les gouvernements d’avant mai 2012,
ni par ceux d’après. Aussi convient-il de prolonger le moratoire de deux ans,
le temps de faire réaliser, en urgence, et par une structure indépendante, les études
démographiques nécessaires qui ne l’ont pas été et de laisser à la loi du 15
août 2014 le temps d’avoir ses premiers effets en matière de désinflation
carcérale – à condition de se donner, aussi, les moyens d’analyser précisément ces
évolutions[6].
Rappelons que le taux de
croissance annuel du nombre de détenus a fortement diminué depuis près de 3
ans, 7,0 % au 1er janvier 2012,
4,1 % au 1er juillet,
2,8 % au 1er janvier 2013,
1,8 % au 1er juillet 2013,
0,8 % au 1er janvier 2014,
– 0,4 % au 1er juillet 2014 et - 1,2 % au 1er octobre 2014[7].
Paris, le 25 octobre 2014
Directeur de recherches au CNRS
[1] Rappelons
que la direction de l’administration se refuse toujours à calculer ce nombre de
détenus en surnombre. Comme me disait un haut responsable de cette administration, il y a quelques
années, « Pourquoi voulez-vous
qu’on le fasse, vous le faites si bien, mois après mois. Propos peu responsable.
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