Leçon n°4 - Les risques du
métier
Dans
le numéro d’Arpenter le Champ
pénal, du 26 novembre 2012, je publiais dans la rubrique « Les comptes du lundi » un
article intitulé : Quelques données
fantaisistes lues dans Le Monde, daté du 22 novembre 2012, dans un article
intitulé « Prévenir la récidive, principal chantier de Christiane
Taubira »
a.
« Tous les détenus finissent un jour ou l’autre par sortir ». Faux :
249 décès sous écrou ont été recensés en 2011 dont 123 suicides.
b.
« 140 000 personnes sont tous les ans condamnées à une peine de
sursis avec mise à l’épreuve […] et donc remis en liberté ». Faux : En 2010, 65 060
condamnations à l’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve ont été
prononcées. Certaines de ces
condamnations peuvent concerner la même personne. Le nombre de personnes est donc
inférieur à 65 060. On compte, par ailleurs, 29 174
condamnations à l’emprisonnement avec sursis partiel et mise à
l’épreuve.
c.
« [la peine de sursis avec mise à l’épreuve est] la principale peine
prononcées par les tribunaux » Faux :
L’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve n’est évidemment pas de la peine la plus fréquemment
prononcée. En 2010, on a prononcé 224 224 peines d’amende pour contraventions de 5ème
classes ou délits, 117 048 peines d’emprisonnement avec sursis total
simple pour des délits ou des crimes,
89 135 peines d’emprisonnement ferme….
d. L’auteur de l’article affirme aussi que
« les travaux sur la récidive et la sortie de la délinquance
(« désistance ») sont, en France,
embryonnaires et peu nombreux ».
C’est vrai pour les recherches sur « la sortie de la délinquance »,
mais pas pour celles sur la récidive
(1). Mais quand on ne veut pas faire l’effort de prendre connaissance de telle
ou telle recherche – certes un peu technique - on dit qu’elle n’existe pas !
C’est tellement plus simple que d’en rendre compte, de façon intelligible, pour
le plus grand nombre …. On l’a déjà souligné ici, cette paresse intellectuelle semble
faire consensus dans les médias, et hélas, bien au-delà … Qu’y faire ?
Autant
souffler dans un violon…
PVT
(1) Tournier P.V., Prévention de la récidive des infractions
pénales : connaître pour agir, suite… Université Paris 1, Centre d’histoire
sociale du XX siècle, août 2012, 36 p.
Cette note comprend une bibliographie de 190 références.
***
L’auteur – dont
je ne citais pas le nom par courtoisie – réagit, à sa façon, sur son
blog. Je n’y suis pas abonné, mais plusieurs collègues et
amis m’ont signalé la prose de Franck Johannès. Voici ce que cela
donne :
« Pierre-Victor Tournier, l’irascible et ses
flèches. Pierre-Victor Tournier est un professeur
respecté, qui par déformation professionnelle, adore donner des leçons.
Démographe, criminologue, directeur de recherche au CNRS et fin spécialiste de
la statistique pénitentiaire, il publie sur le net un « hebdomadaire
indisciplinaire » joliment baptisé «
Arpenter le champ pénal », une savante mine d’information épluchée par
tous les professionnels du secteur.
Le professeur a une autre
caractéristique: il a un caractère impossible et s’est fâché avec à peu près
tout le monde. Prétendre s’intéresser à la prison (il n’y a pourtant pas
foule), est risqué : c’est assurément s’exposer à être traité par le redoutable
professeur d’âne bâté, de crétin congénital ou de journaliste, pénible
condition qui cumule, outre une paresse intellectuelle suicidaire, les
caractéristiques des deux premiers. Il faut ainsi parfois du mérite pour
arpenter à ses côtés le champ pénal, Libé,
l’Obs et Le Monde, plus
qu’à son tour, se prennent régulièrement des coups de règle sur les
doigts. »
Au-delà de ces critiques concernant ma personnalité qui frisent le délit de
diffamation - mais on ne peut pas plaire à tout Le Monde -, M. Johannès apporte
lui-même la preuve que mes observations étaient des plus pertinentes et que mes
« flèches » ont bien atteint leur cible. C’est bien le problème pour ce
monsieur qui semble avoir quelques difficultés à reconnaitre ses erreurs.
Sur le point a., son commentaire est le
suivant : « Certes, mais
était-ce bien le débat ? dans le doute, un point pour Pierre-Victor ». Dans le doute ? Ainsi le journaliste du
Monde n’est même pas certain d’avoir écrit une bêtise.
Sur les points b. et c.
F.J. tente d’impliquer sa source en indiquant : [Première ligne de Sursis avec mise à l’épreuve : la peine méconnue, une analyse des
pratiques de probation en France, par Sarah Dindo, pour la direction de
l’administration pénitentiaire, mai 2011 : « Le sursis avec mise à l’épreuve
(SME) est la première peine exécutée par l’administration pénitentiaire (143
670 au 1er janvier 2011, soit 74% de l’ensemble des mesures suivies en milieu
ouvert). »]
Certes, on peut même actualiser ces
données : Au 1er janvier 2012, 144 060 sursis avec mise à
l’épreuve sont en cours d’exécution, dans les SPIP, soit 74 % des mesures. Mais
ce n’est pas ce qu’a écrit F. J. : « 140 000 personnes sont tous les ans
condamnées à une peine de sursis avec mise à l’épreuve […] et donc remis en
liberté ». Il y a là, dans
l’esprit du journaliste, deux types de confusions, malheureusement
classiques : confusion entre données de stock et données de flux, entre
peines prononcées par les juridictions et
peines en cours d’exécution au sein des SPIP.
L'esprit ouvert sur le monde
Enfin, le journaliste dépasse légèrement les
bornes en s’intéressant aussi aux relations professionnelles que je choisis
d’avoir - ou de ne pas avoir - avec tel
ou tel de mes anciens étudiants (comme tout enseignant de plus de 60 ans, j’en
ai plusieurs milliers). F. J écrit ainsi « L'étude française la plus récente est en
réalité [qui dit le contraire ? ] celle d’Annie Kensey, une ancienne
élève de Pierre Victor Tournier, dont il ne fait pas une excessive
publicité ». Le journaliste n’a évidemment pas eu la curiosité (le
temps ?) d’ouvrir le texte qu’il cite pourtant : Tournier P.V.,
Prévention de la récidive des infractions pénales : connaître pour agir,
Université Paris 1, Centre d’histoire sociale du XX siècle, août 2012, 36 p.
Cette note comprend une bibliographie de 190 références sur la récidive. Mme Kensey y est citée 29 fois, pour sa dernière étude (dont il a souvent été
question dans ACP, compte tenu des incohérences qu’elle comportait) comme pour
toutes celles auxquelles elle a eu la chance de participer sous ma direction.
Leçon n°5 - Feindre
l’indifférence
Pour
cette leçon voir (ou revoir) Aubade
et ses leçons de séduction…
PVT
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