Chronique de Jean-Manuel Larralde,
Professeur de droit public à l’Université de Caen
Basse-NormandieCentre de recherches sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit (EA 2132).
• Cour EDH, 13 novembre 2014, Bodein c/ France,
req. n° 40014/10
La
Convention européenne des droits de l’homme interdit qu’une peine privative de
liberté « soit de
jure et de facto incompressible. (…) Là où le droit national offre la
possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la
suspendre, d’y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous conditions, il
est satisfait aux exigences de l’article 3 ». (§ 54)
Des faits graves (le meurtre, dans des conditions extrêmement
violentes, d’une enfant, d’une jeune fille et d’une femme), ont amené Pierre
Bodein à être condamné par la cour
d’assises du Bas-Rhin en 2007 à la réclusion criminelle à perpétuité, sans par
ailleurs qu’aucune des mesures d’aménagement de peine énumérées à l’article
132-23 du code pénal ne puisse lui être accordée[1].
Cet arrêt d’une extrême sévérité (seules deux personnes - y compris le
requérant - étant actuellement condamnées en France à la peine de perpétuité
avec une telle exclusion des mesures d’aménagement) a été confirmé en 2008 par
la cour d’assises du département du Haut‑Rhin, statuant en appel. Saisie en
2010, la Cour de cassation a refusé de considérer cette peine comme inhumaine
et dégradante, ce qui a amené l’intéressé à s’adresser à la Cour européenne des
droits de l’homme[2].
Une première lecture de
l’arrêt Bodein laisse à penser que
cette décision ne constitue qu’une simple confirmation de la jurisprudence
habituelle de la juridiction strasbourgeoise en matière de peines privatives de
liberté de longue durée (qu’elles soient ou non à perpétuité). Dès son arrêt Weeks c/ Royaume-Uni
du 2 mars 1987, la Cour a, en effet, précisé que tout détenu, quelle que soit
la longueur et la gravité de sa peine, doit avoir « le droit de saisir un "tribunal" compétent qui statuera
"à bref délai" sur le point de savoir si sa privation de liberté est
devenue "irrégulière" en ce sens », cette exigence s'avérant
particulièrement indispensable dans les situation de peines perpétuelles (Hussain
c/ Royaume-Uni, 26 janvier 1996), afin de pouvoir vérifier s'il existe
toujours un lien de causalité suffisant entre la condamnation qui a été
prononcée et la totalité de privation de liberté qui lui succède (Stafford
c/ Royaume-Uni, 28 mai 2002). La situation d'un détenu qui ne
posséderait aucun espoir de pouvoir un jour bénéficier d’une mesure de
libération conditionnelle, poserait problème au regard de l’article 3 de la
Convention (Nivette c/ France, 3 juillet 2001)[3]. Ces arrêts sont intégralement confirmés dans
l’arrêt Bodein : « en ce qui concerne les peines perpétuelles,
l’article 3 doit être interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles,
c’est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de
rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement
évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime
d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention »
(§ 55). Mais l’arrêt du 13 novembre 2014 ne saurait être totalement négligé,
car il apporte deux précisions importantes sur cette question de la
« compressibilité » des longues peines.
En premier lieu, tout en
refusant à nouveau d’exiger des délais précis pour le réexamen de la détention,
la Cour rappelle toutefois (comme elle l’avait déjà fait dans l’affaire Vinter de 2013) « qu’il se dégage des éléments de droit
comparé et de droit international une nette tendance en faveur de l’instauration
d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de
vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle puis des
réexamens périodiques » (§ 55). Cette mention est importante, car elle
préfigure, dans la démonstration de la Cour, l’émergence d’un « consensus
européen » en la matière, qui, lorsqu’il sera reconnu par les juges de
Strasbourg, permettra de réduire la marge nationale d’appréciation reconnue aux
Etats sur cette question du contrôle des longues peines, et de leur imposer des
solutions communes[4].
En s’attachant de manière très précise aux faits et à la procédure de l’espèce,
la Cour relève ainsi que le requérant pourra saisir le juge de l’application
des peines d’une demande de relèvement de la décision spéciale de la cour
d’assises de ne lui accorder aucun aménagement de peine au bout de vingt-six
ans (§ 61)[5].
On peut considérer qu’il s’agit là d’un maximum pour pouvoir se conformer aux
exigences conventionnelles.
En second lieu, la Cour
confirme que les possibilités de réexamen des peines ne peuvent être examinées
que par un juge qui pourra contrôler si des motifs légitimes justifient
toujours le maintien en détention. A l’argument du Gouvernement français
indiquant que le requérant « pour ne
pas mourir en prison » pourra demander une grâce présidentielle (§
50), la Cour réplique de manière claire qu’il ne s’agit là en aucun cas d’un « mécanisme efficient de réexamen de la
peine permettant la prise en compte de l’évolution des condamnés à
perpétuité » (§ 56). Le caractère discrétionnaire de la grâce ne
permet, en effet, pas de considérer un tel mécanisme comme effectif. De même,
la demande de suspension de peine pour raisons médicales (§ 59) n’apparaît pas
valide aux yeux de la Cour, car la révision de la peine repose alors sur de
stricts motifs humanitaires, et non, comme l’exigent les juges strasbourgeois,
sur des « motifs légitimes d’ordre
pénologique » (§ 59). Le contrôle du juge sur le maintien ou non de la
peine doit, en effet, permettre de « se
prononcer sur (l)a dangerosité » du requérant et « prendre en compte son évolution au cours de
l’exécution de sa peine » (§ 60).
[1] Art. 132-23, 3ème
al. du CP : « lorsqu’elle prononce une
peine privative de liberté d’une durée supérieure à cinq ans, non assortie du
sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté pendant laquelle le
condamné ne peut bénéficier d’aucune des modalités d’exécution de la peine
mentionnée au premier alinéa. La durée de cette période de sûreté ne peut
excéder les deux tiers de la peine prononcée ou vingt-deux ans en cas de
condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité ».
[2] Le requérant évoquait
également la violation de son droit à un procès équitable, compte tenu de
l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel. Cet
argumentaire est rejeté par la Cour qui « estime que le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de
comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre »
(§ 42) et qui souligne l’adoption de la loi du 10 août 2011 qui a permis
d’insérer un nouvel article 365‑1 dans le CPP qui prévoit désormais « une motivation de l’arrêt rendu par une cour
d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à
la feuille des questions » (§ 43).
[3] Voir sur cette question
notre note sous l’arrêt Vinter et a. c/ Royaume-Uni, 9 juillet 2013.
Arpenter le Champ pénal, n° 334-335, 5 août 2013.
[4] Ainsi dans son arrêt Goodwin
c/ Royaume-Uni (GC) du 11 juillet
2002, la Cour de Strasbourg relève l’existence d’un consensus européen
en matière de transsexualisme, qui réduit désormais la marge nationale
d’appréciation reconnue aux Etats en la matière et les contraint à modifier
l’Etat-civil des personnes ayant subi une opération de conversion sexuelle.
[5] La privation de liberté subie à compter du mandat de dépôt est comptabilisée dans la durée d’incarcération et
cette date est considérée comme le point de départ de la période de sûreté
perpétuelle.
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