vendredi 8 mars 2013

Oui au numerus clausus pénitentiaire, au nom du principe d’égalité !



28 Janvier 2013. Prisons : Christiane Taubira dit non au "concept du numerus clausus". Un rapport parlementaire préconisait de proposer des aménagements de peines dès l'instant où un détenu entrerait dans une prison surpeuplée (rapport de la mission parlementaire présidée par Dominique Raimbourg, sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale.)  

20 février 2013. Le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive  passe entièrement sous silence la question du numerus clausus penitentiaire.

Aujourd"hui : la surpopulation carcérale ne cesse d'augmenter : 12 350 détenus en surnombre, soit + 5,5 % en 12 mois (données au 1er février 2013).

Il est urgent d'agir.


« Détention et inégalité »  (1)

Placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté, non aménagée en milieu ouvert,  66 572 personnes se trouvent en détention dans les prisons françaises, en métropole et outre-mer au 1er janvier 2013. Etre détenu représente, selon les individus, des contraintes, des frustrations, des souffrances physiques ou morales, des dangers mêmes, bien différents.

La personne concernée peut avoir une certaine responsabilité dans la situation favorable ou défavorable qu’elle connait. Un détenu ayant tenté de s’évader, ou connue pour ses comportements violents à l’égard des personnels de surveillance verra ses mouvements – et ses activités - nécessairement réduits. Mais son statut de «  forte tête » pourra aussi le protéger de la population pénale qui a ses propres hiérarchies sociales : ainsi les mouvements d’un auteur d’agression sexuelle sur mineur seront eux aussi réduits, afin de le protéger du mépris et des violences éventuelles d’autres détenus.

Comme à l’extérieur, les caractéristiques sociodémographiques des personnes détenues peuvent être, bien évidemment, source d’inégalité, en détention : il vaut mieux être français qu’étranger, étranger francophone sachant lire et écrire, qu’étranger non francophone, ne sachant ni lire ni écrire dans sa langue maternelle, disposer d’aides de l’extérieur qu’être socialement complètement isolé.  La mixité des détenus est interdite ; on touche là à un sujet tabou. Doit-on alors considérer que les détenus hétérosexuels connaissent une situation plus défavorable que les homosexuels ?  N'oublions pas que l’homophobie  s'exprime  aussi en prison.

De la responsabilité des pouvoirs publics

Nous ne parlerons ici que des différences de condition dont la responsabilité relève directement des pouvoirs publics. Ainsi, la violation la plus évidente du principe républicain d’égalité de traitement en détention découle de l’état endémique de surpopulation carcérale. Quatre cas de figures peuvent se présenter : 1. Etre détenu dans une prison non surpeuplée ; 2. Etre détenu dans un  établissement où il y a plus de détenus que de place, mais dans une cellule dont la capacité définie par l’administration n’est pas dépassée ; 3. Etre détenu dans une cellule surpeuplée, mais en bénéficiant d’un lit à disposition 24h sur 24 ; 4. Etre condamné à dormir sur un matelas posé à même le sol. Au 1er janvier 2013, on a recensé 12 194 détenus en surnombre dont 639 doivent se contenter d’un matelas posé à même le sol. Les capacités des prisons sont définies uniquement à partir de la superficie des cellules (circulaire du 3 mars 1988) : superficie de moins de 11 m2  = 1 place, 11 à 14 m2  inclus = 2 places, 14 à 19 m2 inclus = 3, 19 à 24 m2 inclus = 4,  etc.

Pour montrer à quel point les situations peuvent être inégalitaires, d’un établissement à l’autre, il faut introduire trois autres éléments qui doivent être pris  en compte simultanément : la personne détenue bénéficie-t-elle d’une cellule individuelle, combien de temps reste-t-elle dans sa cellule, individuelle ou collective (22h, 10h ?), quelle est la nature des activités, rémunérées ou non, qui lui sont accessibles en cellule et hors de la cellule ? La question de l’encellulement individuel ne se pose évidemment que dans les cas 1 et 2. Etre détenu en cellule individuelle constitue, à juste raison, la norme du Conseil de l’Europe. Son principe a été réaffirmé dans la loi pénitentiaire de 24 novembre 2009, mais son application reportée à plus tard (moratoire de 5 ans). Mais bénéficier d’une cellule individuelle, pour n’en sortir que deux ou trois heures par jour pour la promenade faute d’activités dans l’établissement est un traitement peu enviable, voire, à la longue, un traitement dégradant au sens de l’article 3  de la Convention européenne des droits de l’homme.

Réduire cette source d’inégalités au sein de la détention nécessite de respecter l’encellulement individuel, partout, et d’avoir des prisons qui ne recevront pas plus de détenus qu’il n’y a de places (numerus clausus)  et disposeront  des infrastructures et des moyens permettant  que la journée de détention se passe hors de la cellule, dans les lieux de vie : en ateliers, dans les locaux de formation générale ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles ou sportives, ou les espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux de pratique religieuse, les parloirs, etc.
Pierre V. Tournier

(1) Notule à paraître dans le Dictionnaire des inégalités, dirigé par  Alain Bihr et Roland Pfeferkorn


Pour en savoir plus ....

Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale, Assemblée nationale, Commission des Lois, Rapport d'information n°652, janvier 2013, 197 p., 6,50€.