lundi 22 octobre 2018

Chronique Côté Cour EDH


Par Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université de Caen-Normandie

LA COUR RAPPELLE SES EXIGENCES EN MATIERE DE VISITES FAMILIALES AUX MINEURS EN DETENTION
                                                                                                                         
• Cour EDH, 13 février 2018, Andrey Smirnovc/ Russie, req. n° 43149/10 (en anglais)



Tout détenu avant jugement « (…) doit être présumé innocent avant que sa culpabilité ne soit déclarée, et une interférence avec son droit au respect de sa vie familiale ne peut être justifiée par les seules limitations induites par l’application d’une mesure de privation de liberté préventive » (§ 49)

 A l’âge de dix-sept ans le requérant a été arrêté, suspecté de coups et blessures à l’encontre d’un camarade de classe et placé en détention préventive. D’abord relâché et confié à la garde de ses parents, il est ensuite inculpé de tentative de meurtre et placé en détention préventive (il sera finalement reconnu coupable et condamné à cinq ans de prison). Durant ses huit mois de détention, l’administration pénitentiaire a refusé à ses parents plusieurs de permis de visites ; ils n’ont été autorisés à rencontrer leur fils que seize fois, et ce toujours dans un lieu muni d’un dispositif de séparation entre le détenu et sa famille. La Cour de Strasbourg, s’appuyant fortement sur sa jurisprudence antérieure, a jugé que cette situation constituait une violation de l’article 8 de la Convention de 1950 (voir, inter alia, Messina c/ Italie (n°2), 28 septembre 2000 ; Lavents c/ Lettonie, 28 novembre 2002), qui protège notamment le droit de toute personne au respect de sa vie familiale. Rappelant qu’il incombe aux autorités d’aider au maintien des liens familiaux entre un détenu et sa famille proche (principe s’appliquant évidemment aussi à la situation des détenus avant jugement, réputés innocents en application de l’article 6§2 de la Convention), la Cour voit dans le traitement infligé à M. Smirnov une violation de l’article 8 à un double point de vue.

En premier lieu, les refus de visites, qui s’analysent en une ingérence dans la vie familiale du requérant, devaient être prévus par la loi. Or les juges de Strasbourg ont déjà eu l’occasion de préciser, sans être pour l’instant entendus par les autorités russes (voir Moiseyev c/ Russie, 9 octobre 2008), que la loi fédérale russe du 15 juillet 1995 (loi sur la détention préventive) ne correspond pas aux exigences de prévisibilité exigées par la Cour de Strasbourg. Ce texte accorde en effet un pouvoir discrétionnaire disproportionné au magistrat instructeur, en ne définissant ni précisément les circonstances permettant de refuser les visites, ni le fondement d’un refus, ni la durée de la mesure d’interdiction. En l’espèce, les refus de visites (des deux parents) avaient été motivés en raison de « tentatives du père du requérant de faire obstruction à la procédure » (§ 10). Ce texte du 15 juillet 1995, en limitant dans tous les cas les visites familiales des prévenus à deux par mois, constitue par ailleurs une norme excessivement restrictive aux yeux de la Cour de Strasbourg. Essentielles pour tout détenu, les visites le sont encore plus pour un adolescent, primo-délinquant, sans expérience d’un monde carcéral hostile et stressant (voir le § 49 de l’arrêt). En n’adoptant qu’une perspective répressive et sécuritaire, la loi de 1995 ne peut pas être considérée comme un acte « nécessaire dans une société démocratique » (§ 50). Les textes doivent posséder une certaine dose de flexibilité, afin de pouvoir déterminer si des limitations aussi draconiennes sont réellement opportunes pour chaque cas particulier (exigence déjà rappelée par la Cour dans son arrêt Trosin c/ Ukraine, 23 février 2012, § 42).

En second lieu, les visites qui ont été autorisées ont dû se dérouler dans un espace muni d’une vitre séparant le détenu de ses visiteurs. La Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer qu’elle ne s’oppose pas de manière générale à des modalités particulières de limitation, de surveillance, ou d’organisation des visites (Hagyó c/ Hongrie, 23 avril 2013). Celles-ci peuvent par exemple être justifiées par des exigences de sécurité (Lorsé c/ Pays-Bas, 4 février 2003), pour prévenir des évasions, ou d’une manière plus générale, pour protéger les détenus et leurs visiteurs (Ciorap c/ Roumanie, 19 juillet 2007). Or, en l’espèce la privation de tout contact physique entre M. Smirnov et ses parents n’était justifiée ni par un risque de transmission d’information prohibées, ni par la survenance possible de violences sur ses parents, ni par un risque sanitaire quelconque (voir le § 55 de l’arrêt). Les effets d’un tel dispositif de séparation n’ont eu, au contraire, pour seule conséquence que d’accentuer les conséquences négatives de l’enfermement, à un moment où ce jeune homme avait particulièrement besoin du soutien de ses parents (§ 55).

Sans apporter de novations particulières, l’arrêt Smirnov présente toutefois le mérite, tout comme l’avait  fait l’arrêt Khoroshenko c/ Russie du 30 juin 2015 à l’égard des détenus condamnés à de longues peines, de rappeler l’importance du maintien des liens familiaux pour les personnes privées de leur liberté, qu’elles soient prévenues ou condamnées, permettant ainsi de donner plein effet à la Règle pénitentiaire 24.4 selon laquelle « Les modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales de façon aussi normale que possible ».

Jean-Manuel Larralde, professeur à l’Université de Caen-Normandie


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