samedi 3 novembre 2018

Le Sénat érige la probation en une peine autonome



Par Pierre Pélissier, ancien magistrat 

Titre V. du Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice :
Le titre V (articles 43 à 52) a pour objet de renforcer l'efficacité et le sens de la peine. Il prévoit ainsi :
- la création de la peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique (article 43) ;
- l'interdiction du prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois (article 45) ;
- l'intégration de la contrainte pénale et du sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (sursis-TIG) dans le sursis avec mise à l'épreuve, désormais dénommé « sursis probatoire » (articles 46 et 47) ;
- l'institution de nouveaux dispositifs afin de préparer au mieux la sortie des mineurs de centres éducatifs fermés et notamment le retour en famille (article 52).


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Contre l'avis du Gouvernement, mais avec le soutien des 22 sénateurs de la République en Marche,  le Sénat érige la probation en une peine autonome, distincte de l’emprisonnement

Votants : 344, Pour : 228 (Les Républicains, Union centriste, La République en Marche, Les Indépendants - République et Territoires), contre 19 (communistes), abstentions : 97  (Socialistes et républicains)   

     Le texte voté par le Sénat apporte des modifications très importantes au titre V du projet de loi présenté par le Gouvernement. Les dispositions examinées ci-dessous ne sont pas exhaustives.

Le texte voté supprime la peine de détention à domicile sous surveillance électronique en tant que peine autonome, le Sénat estimant que le PSE est suffisant et mieux adapté et que d'ériger cette mesure en peine autonome n’incitera pas les juridictions à plus la prononcer. La commission des lois ajoute qu' il n’apparaît pas nécessaire d’augmenter le recours aux PSE alors même que la pertinence criminologique de cette peine est régulièrement remise en cause et que son efficacité à prévenir la récidive n’est pas avérée.

Un amendement d'un député LREM qui a été rejeté en séance demandait de maintenir la détention à domicile sous surveillance électronique aux motifs que si le placement sous surveillance électronique avait principalement été conçu comme un mode d'aménagement des peines d'emprisonnement (pouvant être prononcé, en cours d'exécution, par le juge d'application des peines), depuis la loi Perben 2 du 9 mars 2004, le tribunal correctionnel détenait la faculté de le prononcer ab initio. Tant est si bien que le PSE partageait ipso facto les propriétés de la "peine autonome". Par une salutaire opération de simplification, le Gouvernement en forma-lise l'existence : désormais, le port du bracelet électronique n'est plus conçu par référence à la peine de prison qu'elle est censée aménager, mais se présente formellement comme une peine qui lui est dissociable.

Le Gouvernement était opposé à cette suppression, estimant que la détention à domicile sous surveillance électronique est de nature à diminuer le prononcé des peines d’emprisonnement car elle allie un contrôle strict des mouvements du condamné à un suivi du SPIP en milieu ouvert, favorisant la réinsertion et notamment les démarches de soins ou d’accès à l’emploi.

Le texte voté par le Sénat crée la peine de probation et la place dans l'échelle des peines juste après l'emprisonnement. Cette disposition a été adoptée contre l'avis du Gouvernement. Le Sénat érige la probation en une peine autonome, distincte de l’emprisonnement, alors que le projet de loi propose d’instaurer un sursis probatoire, qui dépend d’une peine d’emprisonnement, en fusionnant le sursis avec mise à l'épreuve et la contrainte pénale. Le Sénat estime qu'il faut faire évoluer l’échelle des peines en cessant de faire de l’emprisonnement la peine de référence.

L'amendement finalement voté reprend fidèlement, en les adaptant autant que nécessaires, les dispositions prévues pour le sursis probatoire, y compris la possibilité de décider un suivi renforcé dont les contours évoquent ceux de l'actuelle contrainte pénale. 

L'amendement prévoit la possibilité de décider une peine d'emprisonnement et une peine de probation en complément. La probation débuterait alors à la fin de l'exécution de la peine privative de liberté. 

Le suivi du condamné pourrait être assuré par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), mais aussi par une association habilitée.

Le Gouvernement s'oppose à la création d'une peine autonome de probation, qui, selon lui, ne constituerait que « la reprise sous un nom différent de la peine de contrainte pénale dont l’expérience démontre qu’elle n’a pas été acceptée par les tribunaux, et alors que la meilleure façon d’assurer la mise en œuvre de mesures de probation individualisées et soutenues consiste à améliorer le sursis avec mise à l’épreuve, qui sera dénommé sursis probatoire ; en outre, le sursis probatoire dit renforcé reprend les méthodes de travail de la peine de probation en imposant des évaluations régulières qui favorisent une adaptation de la mesure à chaque personne et à ses évolutions ; par ailleurs, la peine de probation proposée écarte de son domaine les infractions punies d’une peine supérieure à 5 ans d’emprisonnement hors récidive, empêchant le suivi d’une part importante de la population pénale. »

Le texte voté supprime la peine de sanction-réparation qui, selon la commission des lois, est peu prononcée, apparaît peu utile, redondante avec d’autres dispositions prenant en considération la victime et crée une confusion entre les fonctions de la sanction et l’action civile en réparation.

Le Gouvernement s'oppose à cette suppression estimant que la peine de sanction-réparation constitue dans de nombreux cas une réponse pénale appropriée et garantissant les droits des victimes.

A l’inverse, le texte voté inscrit au rang des peines principales, aux fins de clarification de la nomenclature, la peine de suivi socio-judiciaire.

Le Gouvernement soutient au contraire qu'il ne faut pas faire du suivi socio-judiciaire une peine principale applicable à tous les délits et crimes, ce qui revient sur la spécificité de cette mesure et aurait pour conséquence, parce que cette peine s’ajoute à la peine privative de liberté, d’aggraver de façon inutile la répression.

Le texte prévoit aussi le cumul des peines d’emprisonnement, alternatives à l’emprisonnement (travail d’intérêt général ou stage) ou restrictives de liberté afin, selon les motifs de l'amendement, de redonner au tribunal correctionnel toute sa liberté de choix et de permettre aux juridictions de prononcer les peines qu'elles considèrent adaptées.

Le texte vise aussi à simplifier le régime unique des stages, dont les modalités et le contenu seraient déterminés par les juridictions, au regard des besoins locaux, et non par le législateur. Il ne prévoit pas, en accord avec le Gouvernement, la possibilité de cumuler des stages.

Il supprime également la possibilité de prononcer un travail d’intérêt général sans accord préalable du condamné : l’absence de consentement augurerait mal du succès de l’exécution d’une telle peine, en l’absence de moyens de contrainte due au principe supra national d’interdiction des peines forcées.

Le texte voté renforce l'obligation de motivation des peines correctionnelles, il ne maintient qu'un seul seuil pour les obligations d'aménagement de peine (un an) et supprime les seuils d'un mois à six mois et de six mois à un an.

Il supprime l'interdiction des peines de moins d'un mois aux motifs que si certaines études suggèrent que les courtes peines ont des effets délétères, d’autres ont démontré l’efficacité des peines courtes (8 ou 14 jours d’emprisonnement) par rapport à d’autres peines comme le travail d’intérêt général. De plus, l’interdiction des peines courtes peut avoir pour effet d’inciter les magistrats à prononcer des peines plus longues pour contourner cette règle.

Le Sénat met fin à l’automaticité de la procédure d’examen des peines d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans (un an selon le projet de loi) en vue d’un aménagement (procédure de l’article 723-15) : sans supprimer cette procédure, cet amendement vise à permettre aux seules juridictions de jugement de décider du recours ou non à cette procédure. Le tribunal doit ordonner que la peine sera exécutée sous le régime du PSE, de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur, ou ordonner que le condamné soit convoqué devant le JAP ou décerner un mandat de dépôt à effet différé.

Le Gouvernement s'est opposé à ces mesures et a demandé sans succès le retour à son texte initial aux motifs que ce texte prévoit un dispositif progressif, cohérent et équilibré permettant de diminuer le prononcé des courtes peines d’emprisonnement. Il estime que le dispositif retenu par le Sénat  qui supprime les seuils d'un mois et de six mois, a notamment pour conséquence de permettre au tribunal d’écarter l’intervention du juge de l’application des peines pour toutes les peines inférieures à un an, y compris donc pour celles de moins de six mois. Il serait ainsi de nature à augmenter de façon significative, excessive et injustifiée, le nombre des incarcérations. 

Pour la libération conditionnelle, un amendement d'un sénateur LR qui a été finalement voté prévoit qu'un condamné ayant bénéficié d'une libération conditionnelle qui a été révoquée en tout ou partie ne peut plus bénéficier d'une nouvelle libération conditionnelle.

La commission a supprimé l'examen obligatoire aux 2/3 de la peine en vue de la libération sous contrainte au motif qu'il ne paraît pas justifié de faire de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine la règle de principe. Il est préférable de laisser au juge de l'application des peines le soin d'apprécier au cas par cas de l'opportunité de cette mesure en fonction du sérieux du projet de réinsertion du détenu.

Le Gouvernement a déposé un amendement (rejeté) visant à rétablir son texte initial (article 49)  aux motifs que la modification qu'il proposait des dispositions sur la libération sous contrainte avait pour objet de faciliter son prononcé, et de mieux prévenir ainsi les sorties sèches, sans pour autant la rendre absolument automatique, puisque le juge de l’application des peines pourra toujours la refuser. Il estime que la suppression de ces dispositions est injustifiée et incompréhensible alors que la commission des lois a maintenu les autres modifications de l’article qui, tout en excluant la libération sous contrainte lorsqu’une requête en aménagement est pendante devant le juge, précisent que l'aménagement doit être ordonné sauf s'il est impossible à mettre en œuvre au regard des exigences de l'article 707, donc exactement comme cela est prévu pour la libération sous contrainte.

Le Sénat a ajouté un article 723-19 du CPP, sur un amendement d'un sénateur LR, reprenant une disposition adoptée par le Sénat, en janvier 2017. Ce nouvel article vise à rétablir la surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), afin d’éviter les sorties de prison dites « sèches », de réduire le risque de récidive et d’augmenter les chances de réinsertion des condamnés. Cette disposition avait été abrogée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, la personne condamnée, qui doit en outre présenter un projet sérieux d’insertion ou de réinsertion.

Le dispositif proposé prévoit également un rôle renforcé du juge de l’application des peines, qui ordonnera la mesure et la fixation obligatoire (et non facultative comme actuellement) par le procureur de la République des mesures de contrôle et d’obligations parmi celles prévues aux articles 132-44 et 132-45 du code pénal.

Le texte voté prévoit aussi la création d'une agence de l'exécution des peines qui serait un service à compétence nationale auprès du ministre de la justice ayant pour but de centraliser les demandes d’exécution des peines présentant une dimension internationale, qu’il s’agisse d’amendes, de peines de confiscation ou encore de peines d’emprisonnement. Ce service constituerait un point de contact unique, pour les magistrats français et étrangers, pour les questions complexes d’exécution des peines. Cela permettrait de rationaliser le circuit de gestion des dossiers complexes.

Le Gouvernement a déposé un amendement finalement rejeté pour s'opposer à la création de cette agence qui lui paraît inutile car appuyée par aucun élément statistique, nécessitant des moyens humains et financiers qu'il faudrait prélever sur les juridictions ou l'administration centrale et qui entrerait en concurrence avec d’autres directions et services existants assurant déjà les missions listées. La  création de cette agence poserait surtout la question de sa capacité à prendre ou élaborer indirectement une décision juridictionnelle en lieu et place des magistrats en juridiction. Actuellement, les missions envisagées par l’amendement sont assurées par l’administration centrale.

En ce qui concerne le tribunal criminel départemental, le projet de création de ce tribunal à titre expérimental a été maintenu malgré un amendement d'une sénatrice LR.

En ce qui concerne le juge unique, le Sénat a peu modifié le projet de loi initial. Un amendement a cependant été adopté pour maintenir la collégialité en appel.

Pierre  Pélissier, ancien magistrat  

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