dimanche 21 octobre 2018

Soyons progressistes, réalisons l’impossible



Prendre date, pour des débats futurs sur l’échelle des peines…

Par Pierre V. Tournier


   En résumé, défendre - comme je le fais depuis 12 ans -  le triptyque « amende, contrainte pénale (probation), emprisonnement », en matière correctionnelle afin de faire en sorte que la contrainte  pénale devienne « la » référence et l’emprisonnement  une « alternative » de dernier recours,  nécessite, logiquement, de reconnaitre, explicitement,  l’utilité de la prison – et donc  d’en faire l’éloge, à certaines conditions (1) -  mais aussi de renoncer à tout aménagement  qui ne serait pas octroyé en cours de détention effective.       

(1) Limitation des incarcérations aux capacités effectives des établissements, droit à  l’encellulement individuel pour tous, définition de la cellule comme « un lieu de repos et d’intimité », un lieu que l’on quitte le matin pour des espaces d’activités,  mise en œuvre d’une offre d’activités – émancipatrices - de 5 heures quotidiennes, organisation de l’expression collective des personnes détenues sur tous les sujets qui les concernent.     

  
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·       En 2016,  dans son livre Révolution (X0 Editions, p. 194),  Emmanuel Macron  écrivait : « Je pense qu’il est impératif que les peines quelles qu’elles soient, soient immédiatement mises à exécution telles qu’elles ont été  prononcées  […] Une peine de prison prononcée doit conduire l’individu à être placé en détention. Il faut redonner du sens au prononcé de la peine, car il engage la parole de la justice, et donc son autorité ».

Aujourd’hui, une peine d’emprisonnement prononcée  peut ne pas impliquer de placement en détention pour des raisons de nature fort différentes que l’on peut classer ainsi :

1.     Le condamné non incarcéré aura pu utiliser – et c’est bien ainsi -   une voie de recours  (opposition, appel, pourvoi en cassation) ; ou bien il aura bénéficié d’une grâce (individuelle), de la prescription  avant qu’on ne le retrouve  et/ou que le parquet  et les services de police aient eu le temps de faire diligence ; le parquet aura pu aussi prendre la décision de suspendre la mise à exécution  avant de décider, en définitive, de ne pas y recourir en raison des circonstances.

2.     Le condamné peut voir sa peine d’emprisonnement aménagée, en milieu ouvert, par le tribunal correctionnel (ab initio)  ou dans un second temps par le juge de l’application des peines, sans passer un seul jour en détention (placement sous surveillance électronique, semi-liberté, placement à l’extérieur).    

3.     Dès le prononcé de la peine d’emprisonnement, le tribunal peut décider  de sursoir à la mis à exécution  en décidant d’accompagner la peine « d’un sursis à exécution », qu’il s’agisse d’un sursis simple  ou d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME).

·       Dès 2006, dans un texte diffusé, le 1er juillet, intitulé « Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elles »[1] (1), je proposais  la création d’une nouvelle probation, autonome, c’est-à-dire sans référence à l’emprisonnement, ainsi que la suppression, entre autres, du sursis avec mise à l’épreuve. C’est en 2011, que j’appelais cette  nouvelle sanction « contrainte pénale appliquée dans la communauté ».

De fait, je proposais, en matière correctionnelle, une échelle des peines simplifiée, le triptyque « amende, contrainte pénale (probation), emprisonnement (ferme) ». 

Ainsi 10 ans avant la déclaration d’Emmanuel Macron,  je dénonçais, dans une perspective progressiste,  les « peines d’emprisonnement qui n’en sont pas ».  Donner à la probation (la contrainte pénale) toute sa porté, afin qu’elle devienne la peine de référence et la prison l’exception, redonner à l’aménagement des peines, en cours de détention, tout son sens (celui de sas vers la liberté), tels étaient mes objectifs.  Grace à la création de  la contrainte pénale et de la libération sous contrainte,  la loi du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, fut un premier pas, certes chaotique, dans cette direction.    

Lors de son discours d’Agen (6 mars 2018), le président de la République, parlait, ainsi,  à propos de la contrainte pénale, de « peine intelligente ».  Sur ce, la Garde des Sceaux  présente, aujourd’hui  un projet de loi dans lequel la contrainte pénale est supprimée et le sursis avec mise à l’épreuve remis au goût du jour. Comprenne qui pourra.

Par manque de lucidité, de volonté, d’ambition réformatrice,  la marche arrière  va-t-elle être enclenchée par le Parlement ?   

Paris, le 9 octobre 2018.

Pierre V. Tournier


[1] Ce texte de 2006, que l’on peut encore trouver sur internet, est repris dans mon ouvrage, Naissance de la contrainte pénale. Sanctionner sans emprisonner,  L’Harmattan,  coll. Criminologie », 2015, Volume 1. Genèse (226 p.), Volume 2. Archives (221 p.), préface de Pierre Pélissier.  

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