lundi 2 avril 2012

La Gauche de gouvernement et la Question pénale : deux ou trois choses que j'attends d'elle

 

     A la demande d’Hélène Decommer, journaliste à Plus Nouvel Obs, j’ai été amené à rédiger, au fil de la campagne présidentielle, une quinzaine de billets consacrés à la question pénale. Aussi voudrais-je reprendre ici quelques-unes des idées qu’il m’a ainsi été donné de développer, en ligne. Certes, sans le radicalisme, les modérés n’avanceraient pas, mais qu’est-ce que c’est important les modérés !  (formule inspirée du dessinateur Pessin). On l’aura compris, au bruit et à la fureur, je préfère la tranquille volonté réformatrice de François Hollande. Mais il nous faudra bien des efforts encore,  pour convaincre son futur premier Ministre et sa future majorité parlementaire de prendre en compte ces  quelques attentes…

    Assurer le développement, dans l’indépendance, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP)

Il faut poursuivre le travail que Lionel Jospin, alors premier ministre, avait initié, en juillet 2001, en confiant à deux députés, Robert Pandraud (UMP) et Christophe Caresche (socialiste), le soin d’élaborer un projet d’Observatoire de la délinquance. L’objectif était de « disposer à terme d’un outil statistique apte à rendre compte de l’évolution réelle de la délinquance, de l’activité des services d’enquête et des suites données par l’institution judiciaire ». Rattaché au ministère de l’Intérieur lors de sa création par Nicolas Sarkozy, l’OND s’est rapproché du projet initial en devenant ONDRP en janvier 2010, placé sous la tutelle du Premier Ministre. Il reste à renforcer son personnel scientifique et à placer son conseil d’orientation (COR) sous l’autorité d’une personnalité consensuelle.    

    Soutenir la recherche scientifique et l’enseignement en criminologie dans les universités

Le débat public sur la violence ou la récidive le montre bien : tenter de savoir et de comprendre pour agir est la seule façon de lutter contre toutes les  formes de démagogie et d’instrumentalisation.  Le soutien que nous attendons des pouvoirs publics doit tenir compte  de la nature même de la criminologie : « étude du phénomène criminel et des réponses que la société lui apporte ou pourrait lui apporter », la criminologie n’est pas une discipline scientifique en soi mais un espace de confluence entre le droit, les sciences de la société, les sciences du psychisme, la criminalistique et la philosophie. Le sectarisme entre disciplines et la politisation à l’extrême du champ, dans notre pays, représentent les principaux obstacles à son développement. Là aussi, c’est important les modérés.   

    En finir avec la primauté de l’emprisonnement

La place de la prison dans la façon de sanctionner les délits est paradoxale : elle représente 52 % des sanctions, mais plus 6 sur 10 sont prononcées avec un sursis total (2009). La prison est la sanction de référence, sans l’être (sursis) tout en l’étant (risque de révocation du sursis). Aussi proposons-nous de mettre au cœur du système une  nouvelle sanction : « la contrainte pénale communautaire » (CPC). Contrairement au sursis, la contrainte pénale communautaire se définirait sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme « épée de Damoclès » qui pourrait, en définitive, être appliqué, mais par un temps de probation vécu « dans la communauté » (de 1 an à 3 ans). La CPC pourrait comporter des obligations, des interdits et des mesures de surveillance. Ces conditions, précisées par la juridiction et/ou par le juge de l’application des peines pourraient être modifiées par le J.A.P. au cours de la période de contrainte.

     Mettre en place un secrétariat d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales (MSP)

 Placé sous l’autorité du garde des Sceaux, son champ de compétence couvrirait toutes les MSP : mesures et sanctions carcérales, mesures et sanctions appliquées « dans  la communauté », c’est-à-dire non carcérales mais accompagnées d’une « supervision », mesures non carcérales sans supervision comme l’amende ou le sursis simple. Le titulaire d’une telle fonction devrait avoir l‘autorité politique que seul confère le suffrage universel et la technicité nécessaire dans un tel domaine. En relation avec l’ONDRP et la recherche universitaire, il veillerait à la mise en place des instruments d’évaluation et de prospective qui font aujourd’hui défaut en matière de mise à exécution comme d’exécution de l’ensemble des mesures et sanctions pénales et de récidive, au sens large du terme

     Mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l’Europe

Nous pensons, bien entendu,  à  l’ensemble des règles pénitentiaires européennes (RPE), adoptées le 11 janvier 2006 par le Conseil de l’Europe, mais aussi aux règles européennes en matière de mesures et sanctions appliquées dans la communauté, adoptées le 20 janvier 2010, règles que les gouvernements de droite n’ont même pas pris la peine de diffuser comme la France s’y était engagée, à Strasbourg. Mais le prochain Garde des Sceaux devrait aussi s’inspirer de deux recommandations  plus anciennes portant sur des questions qui restent, malheureusement d’actualité, et dont nous avions été corédacteur : recommandations du 30 septembre 1999 sur « le surpeuplement  des prisons  et l’inflation carcérale »  et du 24 septembre 2003 sur « La libération conditionnelle ».     

     Se donner les moyens de faire respecter la dignité de la personne en détention

Cela passe par l’encellulement individuel dont le principe avait été réaffirmé dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Reste à passer du principe à la réalité. Le dépassement de capacité doit être interdit (numerus clausus pénitentiaire). Les capacités doivent être redéfinies sur la base de la règle de vie suivante : la journée de détention doit se passer hors de la cellule, dans des lieux de vie : en ateliers, dans les locaux de formation générale ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles ou sportives, ou les espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux de pratique religieuse, les parloirs, etc. Enfin deux points essentiels de la loi pénitentiaire doivent être revus : l’obligation d’activité pour le condamné prévue à l’article 27 doit être remplacée par une obligation, pour l’administration pénitentiaire, de proposer une activité à chaque détenu ; l’article 29  qui prévoit, timidement,  que « les personnes détenues sont consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées » doit être remplacé par un véritable droit à l’expression collective des détenus sur l’organisation de la détention, en particulier par la mise en place, comme dans nombre de pays européens, de « comités consultatifs de détenus ».