vendredi 6 avril 2012

Ignorance, mensonge et fantaisie ? Mme Le Pen, la peine de mort et la réclusion criminelle à perpétuité.

Déclaration de Mme Le Pen sur France Info le 22 mars 2012 : « La réponse judiciaire à l’augmentation de la violence n’est pas au rendez-vous. Je propose un référendum entre la peine de mort et la perpétuité réelle. Le maximum qu’on ait fait en France avec le pire de la barbarie possible et imaginable, c’est vingt-sept ans » (1).  

Chacun sait ce qu’est un référendum, « vote de l’ensemble des citoyens pour approuver et rejeter une mesure proposée par le pouvoir  exécutif » (Petit Robert). Ainsi le 29 mai  2005,  à la question « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? »,  55 % des citoyens ont répondu « non ».  En la matière, Mme Le Pen innove, proposant un  référendum  où nous aurions à choisir entre la peste (rétablissement de la peine de mort) et le choléra (la perpétuité réelle).      

Quant aux 27 ans, maximum de la détention en France, Mme Le Pen prouve une nouvelle  fois son ignorance... à moins que cela soit sa malhonneteté. Je ne vois pas de troisième hypothèse.

Nous lui conseillons de bonnes lectures…

Que lui conseiller, si non la lecture de l’ouvrage, publié en 2012, sous la direction de Yannick Lecuyer (dir.), La perpétuité perpétuelle ? Réflexions sur la réclusion criminelle à perpétuité.  Presses Universitaires de Rennes », coll. « L’univers des normes. 

Rédigée en mai 2011, ma propre contribution à cet ouvrage Condamnation à perpétuité. Quelle espérance de vie commençait ainsi : «  En 1966, Lucien Léger fut condamné, à l’âge de 29 ans, par la Cour d’assises de Seine-et-Oise, à la réclusion criminelle à perpétuité (RCP) pour l’enlèvement et le meurtre du petit Luc Taron, 11 ans. Ainsi échappait-il à la peine de mort. Que pouvait-il espérer ? Peut-être une grâce présidentielle, car il se disait innocent. Il ne fut pas gracié. A l’époque, il n’existait pas de période de sûreté, les condamnés à la RCP devaient faire au moins 15 ans de détention avant de pouvoir, éventuellement, bénéficier d’une libération conditionnelle (18 ans pour les récidivistes). Lucien Léger attendra pour cela jusqu’en 2005. Il a alors 68 ans, dont 41 années passées en détention, sans aucune interruption. A notre connaissance, ce record a été battu depuis. En effet, au 1er mai 2005, deux autres détenus condamnés à perpétuité étaient incarcérés depuis 40 ans ou plus (2) ; ils sont, semble-t-il, toujours détenus, 6 ans plus tard (3).  En 2006, la Cour européenne des droits de l’homme allait rejeter le recours que Lucien Léger avait présenté contre l’Etat français « pour traitement inhumain et dégradant et détention arbitraire, en violation de l’article 3 de la convention européenne ». Pour la Cour, une réclusion criminelle à perpétuité ne constitue pas un traitement inhumain si le condamné n’est pas privé de tout espoir d’obtenir un aménagement de peine. Lucien Léger est décédé, de mort naturelle, en 2008 à l’âge de 71 ans ».

A contre-sens de l’histoire de l’humanité

    Mais si nous l’avons bien comprise, Mme Le Pen choisirait, lors du référendum « Peste vs choléra » dont elle rêve, le bulletin « peine de mort ». Dans son rapport sur la peine de mort en 2011, Amnesty International rappelle que « le nombre de pays qui recourent à la peine de mort a diminué de plus d’un tiers sur 10 ans. Seuls 10 % des pays du globe, soit 20 sur 198, ont procédé à des exécutions en 2011. […]

Aux États-Unis, le nombre d’exécutions et de condamnations à mort a nettement chuté depuis 10 ans. L’Illinois est devenu le 16ème État à abolir la peine de mort, tandis que l’Oregon a annoncé l’instauration d’un moratoire. En outre, des victimes de crimes violents ont fait campagne contre la peine de mort […]

Les condamnations à la peine capitale et les mises à mort ont sanctionné toute une série d’infractions, notamment l’adultère et la sodomie en Iran, le blasphème au Pakistan, la sorcellerie en Arabie saoudite, le trafic d’ossements humains en République du Congo et les infractions à la législation sur les stupéfiants dans plus de 10 États. Les méthodes d’exécution utilisées en 2011 étaient notamment la décapitation, la pendaison, l’injection létale et la fusillade. Quelques 18 750 personnes demeuraient sous le coup d’une condamnation à mort à la fin de l’année 2011 et au moins 676 ont été exécutées dans le monde » Toutefois, ces chiffres n’englobent pas les milliers d’exécutions qui ont eu lieu en Chine, où ces statistiques ne sont pas divulguées.

Ils ne prennent pas non plus en compte la probable extension du champ d’application de la peine de mort en Iran. Des informations crédibles faisant état d’un grand nombre d’exécutions non reconnues par les autorités qui doublerait le nombre de mises à mort officiellement reconnues […]  »

C’est au retour à cette barbarie que Mme le Pen voudrait nous inviter.


(1) J’ai pris connaissance de ce propos - qui m’avait échappé – lors d’un appel téléphonique de Cédic Mathiot, journaliste à Libération qui devait consacrer la rubrique Désintox à ce sujet (« Prison : Marine Le Pen sous-évalue les longues peines », 4/4/12). Il m’est déjà arrivé de souligner la pertinence de cette rubrique dont l’idée est proche de celle qui m’avait amené à créer l’association Pénombre, en octobre 1992 (www.pénombre.org). Lire aussi :  Petits précis des bobards de campagne, Editions Presses de la Cité,  par Cedric Mathiot et la rubrique « Désintox » de Libération. 

(2) Kensey A., Durée effective des peines perpétuelles, direction de l’administration pénitentiaire, Cahiers de démographie pénitentiaire, n°18, novembre 2005.

(3) Le 7 août 2011, Pierre-Just Marny, condamné à perpétuité, a été retrouvé inanimé dans sa cellule du centre pénitentaire de Ducos (Martinique). Agé de 68 ans, incarcéré depuis 1965, il aura passé 46 ans en détention, dont une partie en unité pour malade difficile (UMD).