jeudi 26 février 2015

Chronique Côté Cour EDH

Droit de vote  des personnes détenues : le bras de fer entre la Cour de Strasbourg et le Royaume-Uni continue 

 Par Jean-Manuel Larralde,

Professeur de droit public à l’Université de Caen Basse-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)


• Cour EDH, 10 février 2015, McHugh et a. c/ Royaume-Uni, req. n° 51987/08 et 1 014 autres (en anglais)

« La législation contestée n’ayant pas été amendée, la Cour ne peut que conclure, à l’instar des affaires Hirst (n° 2), Greens et M.T. et Firth et a., et pour les mêmes raisons, que les requérants ont subi une violation de l’article 3 du Protocole n° 1 »  (§ 11)

      Dans l’arrêt Hirst du 6 octobre 2005, la Grande Chambre de la Cour de Strasbourg a conclu à l'incompatibilité de la législation britannique avec l'article 3 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit le droit à des élections libres. En effet, le droit britannique  prévoit un retrait automatique du droit de vote pour toute personne incarcérée, ce qui constitue pour les juges européens une « restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale (qui) outrepasse une marge d'appréciation acceptable, aussi large soit-elle, et est incompatible avec l'article 3 du Protocole n° 1 » (§ 82).

      Chargé de la mise en œuvre des arrêts de la Cour, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe n’a pu obtenir des autorités britanniques une modification de la législation interne comme l’imposait l’arrêt Hirst[1]. Saisie d’un grand nombre de requêtes similaires, la Cour a alors décidé d’utiliser sa technique de l’ « arrêt pilote » : dans ses arrêts Greens et M.T. du 23 novembre 2010, rappelant que les articles 1er et 46 de la Convention de 1950 imposent aux États de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures appropriées pour garantir le droit dont elle a constaté une violation, elle a fixé aux autorités britanniques un délai de six mois, à compter de la date à laquelle l’arrêt est devenu définitif, pour déposer un projet de loi visant à organiser le vote des détenus. Cette double pression du Comité des ministres et de la Cour a en fait eu un effet inverse à celui initialement recherché, puisqu’elle a contribué à durcir les positions britanniques et à déplacer la question sur le terrain politique : le 10 février 2011, la Chambre des Communes britannique a, en effet, voté une résolution par laquelle elle manifeste son opposition au projet de loi voulu par la Cour de Strasbourg.

      On peut aujourd’hui ajouter que la question du droit de vote des détenus a également permis de démontrer le caractère fragile des arrêts pilotes, dont l’efficacité est étroitement soumise à la bonne volonté des Etats concernés[2]. Par un très court arrêt de 4 pages et de seulement 17 paragraphes, la décision McHugh nous apprend que près de dix ans après l’arrêt Hirst les autorités britanniques n’ont toujours pas souhaité mettre en œuvre les exigences de la Cour. Celle-ci reprend donc les 1 015 requêtes dont l’examen avait été « gelé » dans le cadre de la procédure de l’arrêt pilote et condamne le Royaume-Uni comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire dans ses arrêts Hirst, Greens et M. T. Même si les juges de Strasbourg ont souhaité adoucir la portée de ces 1 015 condamnations en refusant d’accorder aux requérants une quelconque satisfaction équitable[3], les arrêts du 10 février 2015 risquent de conforter encore davantage le sentiment d’une classe politique anglaise prompte à afficher son « dédain pour les bureaucrates non élus de Strasbourg »[4]




[1] Voir, notamment la Résolution intérimaire CM/ResDH(2009)160 du 3 juin 2010, dans laquelle le Comité des ministres regrette « profondément qu'en dépit des appels répétés du Comité, les élections législatives se soient déroulées le 6 mai 2010 au Royaume-Uni sans que la restriction globale du droit de vote des détenus condamnés purgeant une peine de prison ait été levée » (pt. 4).
[2] L'arrêt pilote Torregiani c/ Italie relatif à la question de la surpopulation carcérale a ainsi permis de sensibles avancées comme l’a démontré l’arrêt Stella c/ Italie du 16 septembre 2014. Voir Arpenter le champ pénal, 1er novembre 2014, http://pierre-victortournier.blogspot.fr/2014/11/chronique-cote-cour-edh.html
[3] La Cour considère que le constat de violation constitue une satisfaction suffisante pour des requérants qui n’ont eu à supporter que peu de frais financiers dans le cadre de leur requête (§ 16 et 17).
[4] Propos tenus par le Premier ministre anglais David Cameron en février 2011. Ces outrances ont à l’époque amené le Président de la Cour européenne des droits de l’homme, Sir Nicolas Bratza, à sortir de sa réserve et dénoncer en mars 2011 à Edimbourg « l’hystérie des critiques au vitriol - et je regrette de le dire, xénophobes - contre les juges de (s)a Cour ».