dimanche 9 décembre 2012

FACT CHECKING : LES PEINES DU MOINS D'UN AN


A la une de sa livraison du 7 décembre 2012, Le quotidien Le Monde rend compte de la situation du centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, l’éditorial ayant pour titre  « Détentions : il faut un numerus clausus ».  On ne peut que se réjouir de cette prise de position,  en faveur du  numerus clausus  pénitentiaire que nous avons défendu, dès le mois de juin 2005 (1) aux côtés de Bernard Bolze, initiateur et organisateur de la campagne « Trop c’est trop. Une place, un détenu » (2005-2007).

A la fin de l’éditorial, Le Monde affirme que «  80 % des détenus sont des condamnés  à des peines de moins d’un an », sans évidemment indiquer sa source.

Ce que je sais sur la fréquence des peines de moins d’un an…

STOCK et FLUX. - Dans le langage de la statistique ou de la démographie, on parle de données de stock – ou d’état - à propos d’une grandeur que l’on mesure à un instant t donné. Par exemple, le nombre de personnes sous écrou au 1er novembre 2012, soit 77 282  (France entière), ou la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires dont dispose l’administration, à la même date, soit 56 933  (France entière). Il est essentiel de distinguer cette notion de stock et la notion de flux qui se réfère à un ensemble d’événements enregistrés au cours d’une période donnée, généralement l’année civile, par exemple le nombre d’entrées sous écrou au cours de l’année 2011, soit 88 058 (France entière).

  • Statistique des condamnations prononcées, issue du casier judiciaire
Indicateur n°1 (statistique de flux).  En 2010, le nombre des condamnations prononcées pour un délit ou pour un crime, inscrites au casier  judiciaire, s’élève à 584 573  (France entière). 124 527 d’entre elles comportaient une peine privative de liberté ferme (au moins partiellement, soit une proportion de 21 %. Parmi ces condamnations, on compte 96 460 peines de moins d’un an ferme, soit 77,5 %.

En résumé : Parmi les condamnations prononcées en 2011 pour délit ou crime, 21 % comprenaient une peine privative de liberté ferme, dont le quantum ferme était, dans 80 % des cas environ,  inférieur à 1 an.

  • Statistique de la population placée sous écrou 
Indicateur n°2 (statistique de stock). Au 1er janvier 2012, l’administration pénitentiaire a recensé 73 780 personnes sous écrou (France entière) dont 57 501 sont des condamnés, soit une proportion de 78 %. Le quantum ferme de leur peine en cours d’exécution est pour 20 645 d’entre eux de moins d’un an,  soit 36 %  (20 645 / 57 501). Par rapport à l’ensemble des personnes sous écrou à cette date, la proportion de personnes  exécutant une peine de moins d’un an est de 28 % (20 645 / 73 780).  

Indicateur n°3 (statistique de flux). En 2011, l’administration pénitentiaire a recensé 88 058 entrées sous écrou  (France entière) : 25 883 entrées de prévenus dans le cadre d’une information, 21 432 entrées de prévenus dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate,  116 entrées pour contrainte judiciaire, 39 688 entrées de condamnés  pour un délit, 66 entrées de condamnés pour un crime et 873 entrées de libérés conditionnels ou probationnaires réincarcérés et de personnes reprises après évasion.                

On connait, par ailleurs, la répartition des 39 688 entrées de condamnés pour un délit (45 % de l’ensemble des entrées sous écrou), selon le quantum ferme de la peine. Dans 84 % des cas, cette peine est inférieure à 1 an. 

 En résumé : Parmi les personnes placées sous écrou en 2011, 45 % l’ont été sur extrait de jugement (procédure correctionnelle). Parmi ces condamnés placés sous écrou,  80 %, environ  avaient à exécuter une peine ferme de moins d’un an.


Indicateur n°4  (statistique de flux). En 2011, l’administration pénitentiaire a recensé 81 213 levées d’écrou, hors transfèrement  (France entière). A priori, on ne connait rien d’autre sur ce flux de sorties. Ainsi ne connait –on pas la répartition de temps passé sous écrou. On ne sait donc pas quel est la proportion des temps passés sous écrou de moins d’un an. On n’en sait rien non plus sur le temps passé en détention. 

Pour mesurer l’indicateur dont Le Monde semble prétendre connaître la valeur,  («  80 % des détenus sont des condamnés à des peines de moins d’un an » :

a - il faudrait connaitre, parmi les  81 213 levées d’écrou de l’année 2011, le nombre de celles qui correspondent à la fin d’un temps passé sous écrou, comportant un temps de détention non nul. Soit x ce nombre.

b - Puis il faudrait isoler ceux qui sont liés à l’exécution (partielle ou totale) d’au moins une condamnation.

c - Pour chacun de ces temps passés sous écrou, il faudrait pouvoir calculer la somme des quantum  fermes  des condamnations concernées (Q). 

d - Soit y  le nombre  de ces temps passés sous écrou avec Q inférieur à un an. L’indicateur  du Monde vaut  100 y / x.          

Sauf erreur de ma part, x et y restent des inconnues ! Vu la complexité de la chose, on comprend, aisément pourquoi.

Le calcul des taux est tout un art …
                                                                                                                                                          PVT
 


(2) Réunions publiques sur le numerus clausus pénitentiaire organisées, à l’Estran, Paris IXe, par DES Maintenant en Europe, le 25 juin 2005, avec Bernard Bolze  et le 10 septembre 2005, sous la présidence de Jacques Floch député (PS) de Loire-Atlantique dont Dominique Raimbourg fut le suppléant.

 

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