mardi 27 novembre 2012

SOUFFLER DANS UN VIOLON


Leçon n°4 - Les risques du métier

Dans le numéro d’Arpenter le Champ pénal, du 26 novembre 2012,  je publiais dans la rubrique « Les comptes du lundi » un article intitulé : Quelques données fantaisistes lues dans Le Monde, daté du 22 novembre 2012, dans un article intitulé « Prévenir la récidive, principal chantier de Christiane Taubira »

a. « Tous les détenus finissent un jour ou l’autre par sortir ».  Faux : 249 décès sous écrou ont été recensés en 2011 dont 123 suicides.

b. « 140 000 personnes sont tous les ans condamnées à une peine de sursis avec mise à l’épreuve […] et donc remis en liberté ». Faux : En 2010, 65 060 condamnations à l’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve ont été prononcées.  Certaines de ces condamnations peuvent concerner la même personne.  Le nombre de personnes est donc inférieur  à 65 060.   On compte, par ailleurs, 29 174 condamnations à l’emprisonnement avec sursis partiel et mise à l’épreuve.

c. « [la peine de sursis avec mise à l’épreuve est] la principale peine prononcées par les tribunaux » Faux : L’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve  n’est évidemment  pas de la peine la plus fréquemment prononcée. En 2010, on a prononcé 224 224 peines d’amende  pour contraventions de 5ème classes ou délits, 117 048 peines d’emprisonnement avec sursis total simple pour des délits ou des crimes,  89 135 peines d’emprisonnement ferme….

d.  L’auteur de l’article affirme aussi que « les travaux sur la récidive et la sortie de la délinquance (« désistance ») sont, en France,  embryonnaires et peu nombreux ».  C’est vrai pour les recherches sur « la sortie de la délinquance », mais pas pour celles sur  la récidive (1). Mais quand on ne veut pas faire l’effort de prendre connaissance de telle ou telle recherche – certes un peu technique - on dit qu’elle n’existe pas ! C’est tellement plus simple que d’en rendre compte, de façon intelligible, pour le plus grand nombre   ….  On l’a déjà souligné  ici, cette paresse intellectuelle semble faire consensus dans les médias, et hélas, bien au-delà … Qu’y faire ?

Autant souffler dans un violon…
PVT

(1) Tournier P.V., Prévention de la récidive des infractions pénales : connaître pour agir, suite… Université Paris 1, Centre d’histoire sociale du  XX siècle, août  2012, 36 p.  Cette note comprend une bibliographie de 190 références.

***
L’auteur – dont  je ne citais pas le nom par courtoisie – réagit, à sa façon, sur son blog. Je n’y suis pas abonné, mais plusieurs collègues et amis m’ont signalé la prose de Franck Johannès. Voici ce que cela donne :  

« Pierre-Victor Tournier, l’irascible et ses flèches. Pierre-Victor Tournier est un professeur respecté, qui par déformation professionnelle, adore donner des leçons. Démographe, criminologue, directeur de recherche au CNRS et fin spécialiste de la statistique pénitentiaire, il publie sur le net un « hebdomadaire indisciplinaire » joliment baptisé « Arpenter le champ pénal », une savante mine d’information épluchée par tous les professionnels du secteur.

Le professeur a une autre caractéristique: il a un caractère impossible et s’est fâché avec à peu près tout le monde. Prétendre s’intéresser à la prison (il n’y a pourtant pas foule), est risqué : c’est assurément s’exposer à être traité par le redoutable professeur d’âne bâté, de crétin congénital ou de journaliste, pénible condition qui cumule, outre une paresse intellectuelle suicidaire, les caractéristiques des deux premiers. Il faut ainsi parfois du mérite pour arpenter à ses côtés le champ pénal, Libé, l’Obs et Le Monde, plus qu’à son tour, se prennent régulièrement des coups de règle sur les doigts. »

Au-delà de ces critiques concernant  ma personnalité qui frisent le délit de diffamation - mais on ne peut pas plaire à tout Le Monde -, M. Johannès apporte lui-même la preuve que mes observations étaient des plus pertinentes et que mes « flèches » ont bien atteint leur cible. C’est bien le problème pour ce monsieur qui semble avoir quelques difficultés à reconnaitre ses erreurs.  

Sur le point a., son commentaire est le suivant : « Certes, mais était-ce bien le débat ? dans le doute, un point pour Pierre-Victor ».  Dans le doute ? Ainsi le journaliste du Monde n’est même pas certain d’avoir écrit une bêtise.

Sur les points  b. et c.  F.J. tente d’impliquer sa source en indiquant : [Première ligne de Sursis avec mise à l’épreuve : la peine méconnue, une analyse des pratiques de probation en France, par Sarah Dindo, pour la direction de l’administration pénitentiaire, mai 2011 : « Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est la première peine exécutée par l’administration pénitentiaire (143 670 au 1er janvier 2011, soit 74% de l’ensemble des mesures suivies en milieu ouvert). »]

Certes, on peut même actualiser ces données : Au 1er janvier 2012, 144 060 sursis avec mise à l’épreuve sont en cours d’exécution, dans les SPIP, soit 74 % des mesures. Mais ce n’est pas ce qu’a écrit F. J. : « 140 000 personnes sont tous les ans condamnées à une peine de sursis avec mise à l’épreuve […] et donc remis en liberté ». Il y a là, dans l’esprit du journaliste, deux types de confusions, malheureusement classiques : confusion entre données de stock et données de flux, entre peines prononcées par les juridictions et  peines en cours d’exécution au sein des SPIP.
L'esprit ouvert sur le monde
 
 
Enfin, le journaliste dépasse légèrement les bornes en s’intéressant aussi aux relations professionnelles que je choisis d’avoir - ou de ne pas avoir -  avec tel ou tel de mes anciens étudiants (comme tout enseignant de plus de 60 ans, j’en ai plusieurs milliers).  F. J  écrit ainsi « L'étude française la plus récente est en réalité [qui dit le contraire ? ] celle d’Annie Kensey, une ancienne élève de Pierre Victor Tournier, dont il ne fait pas une excessive publicité ». Le journaliste n’a évidemment pas eu la curiosité (le temps ?) d’ouvrir le texte qu’il cite pourtant : Tournier P.V., Prévention de la récidive des infractions pénales : connaître pour agir, Université Paris 1, Centre d’histoire sociale du XX siècle, août 2012, 36 p. Cette note comprend une bibliographie de 190 références sur la récidive.  Mme Kensey y est citée 29 fois, pour sa dernière étude (dont il a souvent été question dans ACP, compte tenu des incohérences qu’elle comportait) comme pour toutes celles auxquelles elle a eu la chance de participer sous ma direction.

Leçon n°5 - Feindre l’indifférence

Pour cette leçon voir (ou revoir) Aubade et ses leçons de séduction…

PVT

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