mardi 27 mars 2012

Inflation carcérale : que faire ?



Inflation carcérale


Le futur président de la République  devra-t-il recourir aux grâces collectives ? 


 Son gouvernement devra-t-il déposer un projet de loi d’amnistie ?



En matière pénitentiaire, les records succèdent aux records

Au 1er mars 2012,  le nombre de personnes sous écrou est de 76 428 (France entière) : 16 512  prévenus détenus, 49 933 condamnés détenus (soit 66 445 personnes détenues),   9 983 condamnés non détenus (8 856 condamnés placés sous surveillance électronique en aménagement de peine, 514 condamnés placés sous surveillance électronique en fin de peine et 613 condamnés en placement à l’extérieur, sans hébergement pénitentiaire).

Nouveau record du nombre de personnes sous écrou (maximum précédent : 75 222, le 1/2/2012). Nouveau record du nombre de détenus (maximum précédent : 65 699, le 1/2/2012), Un nombre de détenus en surnombre de 12 378. 

En revanche le nombre de personnes  placées sous main de justice en milieu ouvert est resté quasiment constant entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2012 (173 000).    

Une honte pour la République ? Le palmarès …

Au 1er mars 2012, on compte plus de 30 établissements pénitentiaires dans lesquels  l’administration pénitentiaire a recensé au moins 150 détenus pour 100 places.

Métropole

Maison d’arrêt d’Angers (MA) (151 détenus pour 100 places), MA Nanterre  (152), MA Strasbourg (153), MA Varennes-le-Grand (154), MA Beauvais (155), quartier MA (qMA) Tarbes (155)  qMA Laon (156), MA Bordeaux Gradignan (159), MA Chambéry (159).

MA Carcassonne (161),  MA Bois d’Arcy (163),  MA Caen (166), MA Sarreguemines (166), MA Cherbourg (167), MA Amiens (168), MA Douai (168).

Quartier MA Liancourt (171), MA Auxerre (176), MA Coutances (177), qMA Perpignan (177).

MA Valenciennes (181), MA Laval (181), MA Le Puy-en-Velay (189).

Quartier MA Longuenesse (190), MA Nîmes (198). 

MA Saint Brieuc (201), MA Tours (205), MA Fontenay-le-comte (220), Centre de semi-liberté de Gagny (221),  MA La Roche sur Yon (230), MA Bethune (233), MA Orléans (241) 

Outre-mer

Quartier centre de détention (qCD) de Nouméa (159),  MA Majicavo (209),  qMA Ducos (216), qMa Nouméa (266), qCD Faa’a Nuutania (413).

Des durées de détention qui ne cessent de s’allonger

En termes d’entrées sous écrou, les dernières données qui viennent de m’être communiquées  par la direction de l’administration concernent le 3ème trimestre 2011. On peut regretter  - voire ne pas comprendre – l’existence d’un tel délai de production. A priori, nous n’aurons les données du 4ème trimestre 2012 et donc de l’année 2012 qu’en mai  20012.  

Sur la base des données calculées sur le 3ème trimestre de chaque année, on constate que depuis 2005, le nombre d’entrées sous écrou est relativement stable, fluctuant entre 19 000 et 20 000 dans le trimestre.  Si la population moyenne augmente considérablement, passant d’environ 59 500 en 2005 à  72 500 en 2011, soit + 22 %, c’est uniquement à cause de l’augmentation de la durée moyenne de temps passé sous écrou : 9 mois environ en 2005-2006-2007, 10 mois en 2008,  11 mois en 2009-2010-2011.   Même si cette durée est une durée globale entre écrou et levée d’écrou – à ne pas confondre avec le quantum de la peine prononcée, cette  évolution, est à rapprocher de la loi du 10 août 2007 sur les « peines planchers ».   

Pour fixer les idées, si au cours du 3ème trimestre 2011, nous avions eu, pour 19 581 entrées sous écrou, une durée moyenne égale à celle du 3ème trimestre 2006, soit 8,9 mois (dernière année avant les peines planchers), nous aurions eu, toutes choses égales par ailleurs, une population moyenne de 58 000 personnes sous écrou au lieu des 72 500 recensés au cours du 3ème trimestre 2011. 

Abroger la loi sur les peines planchers 

Comme je l’ai souvent rappelé, les travaux scientifiques sur la question de la récidive mettent sérieusement en doute un effet dissuasif de l'aggravation des peines prononcées. C'est beaucoup plus l'assurance d'être pris (fort taux d'élucidation des affaires) et surtout les conditions d'application des peines qui peuvent favoriser la réinsertion : conditions de détention respectueuses de la personne, lutte contre l'oisiveté en prison (par le travail en atelier, la formation générale et/ou professionnelle, les activités socioculturelles, la formation à la citoyenneté), responsabilisation des détenus, développement des aménagements des peines en milieu ouvert, et en tout premier lieu, de la libération conditionnelle, encadrement effectif en milieu ouvert. Aussi je ne vois que des avantages à l’abrogation de la loi sur les peines planchers préconisée par la gauche, dans son ensemble, et par les Verts.  Mais les effets sur la surpopulation carcérale de cette abrogation  ne seront évidemment pas immédiats.

Recourir aux grâces collectives ?

En juillet 2007, (tribune dans  Libération, 10/7/07),  j’avais salué, sans réserve, la décision de Nicolas Zarkozy qui venait d’être élu à la présidence de la République d'abandonner la pratique de la grâce collective du 14 Juillet, décision que je réclamais, avec d'autres, depuis plus de dix ans. Pratique ancienne, le recours aux grâces collectives avait été abandonné à l'occasion de la loi du 29 décembre 1972, qui créait les réductions de peine pour bonne conduite et donnait au juge de l'application de peines (JAP) compétence en matière de libération conditionnelle pour les condamnés à trois ans ou moins d'emprisonnement. C'est le président Valéry Giscard d'Estaing qui la remit au goût du jour en 1980, à l'occasion du 100e anniversaire de la loi du 6 juillet 1880 faisant du 14 Juillet notre fête nationale. Cette grâce collective deviendra systématique à partir des années 1990. Pratique régalienne, injuste, contraire au principe de judiciarisation de l'application des peines, contraire à leur individualisation, ces grâces présentaient le degré zéro d'une politique en matière d'application des peines.  

5 ans plus tard, je n’ai pas changé d’avis : il serait souhaitable les candidats à l’élection présidentielle précisent, dès à présent, qu’ils ne renoueront pas avec cette pratique.

Et l’amnistie ?

Nicolas Sarkozy avait aussi rompu, en 2007  avec la traditionnelle  amnistie accompagnant l’élection présidentielle.  La question de  l’amnistie se pose en des termes différents de celle des grâces collectives. Il ne s’agit plus du fait du Prince : la décision de recourir à l’amnistie et la définition de son champ d’application revient, en effet,  au Parlement, après un débat public. On se souviendra, aussi, que depuis des années le principe de l’amnistie des contraventions routières a été combattu par les associations qui luttent contre les violences routières. Je partage leur point de vue. Si loi d’amnistie il y a après une élection présidentielle, elle ne peut concerner que des infractions de faible gravité commises dans le cadre de conflits  politiques et sociaux.  Là encore les candidats doivent « annoncer la couleur ».    

Vers le numerus clausus pénitentiaire

Aussi faudra-t-il que le prochain gouvernement, le prochain Garde des Sceaux, aidé  en cela par son Secrétaire d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales, s’attèlent, sans tarder   à la mise en place d’un numerus clausus pénitentiaire qui s’appuiera sur un développement  volontariste des prises en charge en milieu ouvert, développement nécessitant un rééquilibrage budgétaire tout aussi volontariste en la faveur de ce type d’exécution des peines    par rapport à l’enfermement.