samedi 18 février 2012

Prisons : Refuser l'opacité

  

Les chiffres que la direction de l’administration pénitentiaire se garde bien de diffuser

 « Au 1er février 2012, 11 314 personnes bénéficient d'un aménagement de peine sous écrou, soit 19,3 % de l'ensemble des personnes écrouées condamnées », indique l'administration pénitentiaire dans son bulletin mensuel publié vendredi 17 février 2012 (dépêche de l’agence AISG).

La direction de l’administration pénitentiaire oublie de nous dire aussi que le nombre (absolu)  de condamnés sans aménagement de peine  a atteint, à cette date,  un nouveau record historique : 46 945, le précédent record était de 46 357 au 1er décembre 2011.

Cette administration oublie tant d’autres choses. Ce ne sont pas ici question de spécialistes : en période électorale, plus qu’à tout autre moment, nous avons le droit de savoir, les citoyens ont le droit de savoir quelle est la situation des prisons de la République, de nos prisons.   

Inflation

1/ Au 1er février  2012, le nombre de personnes sous écrou a atteint un nouveau record historique : 75 222  (France entière) : 16 463  prévenus détenus,  49 236 condamnés détenus,  8 424 condamnés placés sous surveillance électronique en aménagement de peine, 500 condamnés placés sous surveillance électronique en fin de peine et 599 condamnés en placement à l’extérieur, sans hébergement pénitentiaire.  Le précédent record était de 74 108, au 1er décembre 2011.

2/ La population effectivement détenue a elle aussi atteint un nouveau record historique : 65 699   (16 463  prévenus détenus + 49 236 condamnés détenus). Le précédent record était de 65 262, au 1er décembre 2011.

3/ En un an, la population sous écrou a augmenté de 9,2 %, la population  détenue de 6,4 %. Pendant la même période, le nombre de places opérationnelles a augmenté de seulement  1,3 % : 57 213 places contre 56 454, 759 places de plus en un an, pour 3 928 détenus de plus.

Surpopulation

4/ Malgré notre insistance, l’administration pénitentiaire se refuse  toujours à communiquer  le niveau réel de surpopulation, c’est à dire le nombre de « détenus en surnombre » : somme des écarts entre le nombre de détenus et le nombre de places dans les seuls établissements surpeuplés. Au 1er février 2012, le nombre de détenus en surnombre, calculé par nos soins  est de 11 705. Il a augmenté de 27 % en un an  (9 199, il y a douze mois, soit 2 506 de plus).

5/ Au 1er janvier 2012,  Le nombre de détenus dormant sur un matelas posé à même le sol  était  de 629, contre 204, un an avant,  soit  3 fois plus. L’administration pénitentiaire ne nous a pas encore fourni le chiffre au 1er février 2012.

Une production de  données  toujours aussi défaillante   

6/ A la mi-février, nous n’avons pas pu obtenir de données sur les suicides sous écrou, enregistrés en 2011.

7/ Les données sur les entrées sous écrou de 2011 ne semblent pas non plus disponibles (aucune donnée sur le 3ème trimestre 2011, ni évidemment sur le 4ème). Ces données dites de flux sont pourtant indispensables pour analyser les raisons de l’inflation carcérale actuelle : est-elle due à une augmentation des placements sous écrou et/ou  à une augmentation des durées (temps passé sous écrou) ?            

8/ Et ne parlons pas des données concernant la population des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert : prévenus placés sous contrôle judiciaire, condamnés avec sursis et mises à l’épreuve (SME), condamnés au travail d’intérêt général (TIG), condamnés en libération conditionnelle (LC), etc. Aucunes données actualisées depuis plus d’un an !      


Des décisions à prendre avant l’été prochain

Au rythme où vont les choses – et en tenant compte des variations saisonnières - le prochain gouvernement pourrait se trouver, au 1er juillet  2012, à gérer 80 000 personnes sous écrou  dont 69 000 personnes détenues. Ne devra-t-il pas prendre des mesures d’urgence pour faire face ? Dans quels sens ? Devra-t-il recourir à une loi d’amnistie que le Parlement  serait invité à adopter – comme ce fut le cas en 1981, 1988, 1995 ou 2002, mais pas en 2007 ? Le Président de la République devra-t-il recourir à son pouvoir de gracier ? Pour le 14 juillet 2006, le Président Chirac avait octroyé quinze jours de remise par mois de détention restant à purger, dans la limite de 4 mois maximum. En 2007, le Président Sarkozy avait rompu avec cet usage qui s'était systématisé depuis 1991.

Aujourd’hui, les candidats à l’élection présidentielle ne devraient-ils pas prendre position sans attendre, en pensant, qu’en politique, le courage n’est pas toujours perdant ? Souvenons-nous de François Mitterrand affirmant lors de la campagne de 1981 son opposition radicale  à la peine de mort, alors que 2 français sur 3 étaient opposés  à son abolition ?   

Pierre V. Tournier