jeudi 14 novembre 2019

2009 - 2019 : Se souvenir des belles choses



Sens de la peine et responsabilité
A propos de l’article 1er de la Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009

Pierre V. Tournier
Directeur de recherches au CNRS


Source :  contribution au site "Contre-Feux", 17 octobre 2009  

           « Alors que tant de mots, aujourd’hui usés parce que non honorés, ne ressemblent plus qu’à des enveloppes vides, celui de responsabilité  continue de nous toucher, de nous interpeller. Son caractère fondamental, la force des échos qu’il suscite - lien, réponse, autrui, protection, limite – sont de nature à susciter cet appel… ». Ainsi s’exprimait, la psychanalyste Monette Vacquin dans sa préface à l’ouvrage collectif sur La responsabilité, publié aux Editions Autrement en 2002 [1].


   Dès le début du processus d’élaboration de la loi pénitentiaire adoptée le 13 octobre 2009,  nous avons insisté, dans nos écrits et nos prises de position sur la nécessité, pour le législateur, de préciser ce que l’on peut attendre d’une peine privative de liberté[2]. Autrement dit,  la loi devait traiter de la question du « sens de la peine ». De plus, il était pour nous essentiel que cette définition des objectifs de la prison s’inspira des règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe. La règle 106.1 dit ceci : Un programme éducatif systématique, comprenant l’entretien des acquis et visant à améliorer le niveau global d’instruction des détenus, ainsi que leurs capacités à mener ensuite une vie responsable et exempte de crime[3] doit constituer une partie essentielle du régime des détenus condamnés [souligné par nous]. L’introduction de ce concept de « responsabilité », dans la loi pénitentiaire, représentait donc un enjeu symbolique fort et beaucoup plus qu’un symbole.

    Dans  le projet de loi déposé au Sénat en 2008,  le Gouvernement n’avait pas cru nécessaire  de consacrer un article sur « le sens de la peine » Cet oubli fut heureusement comblé par  la commission des lois du Sénat et  son rapporteur Jean-René Lecerf, par l’introduction de l’article 1er A (nouveau) : Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie  la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion afin de lui permettre de mener une vie responsable et exempte d'infractions [souligné par nous]. Nous avions tout de même regretté que l’on ne prenne pas en compte  le fait que la prison n’est pas uniquement un lieu d’exécution des peines. En 2008, sur les 89 054 entrées en détention (France entière), on compte 51 515 entrées de « prévenus », soit 58 %. Au 1er janvier 2009, sur les 66 178 personnes sous écrou, on compte 15 933 prévenus, soit 24 % de la population sous écrou. Aussi aurait-on dû rappeler cette évidence, indiquant quel est le sens, dans un Etat de droit,  des mesures privatives de liberté,  avant jugement définitif.  

   Lors du débat au Sénat du 6 mars, aucun sénateur n’a abordé cette question de la détention provisoire. Plus surprenant, socialistes et communistes ont tenté de supprimer la référence au sens de la peine tel qu’il est défini par le Conseil de l’Europe : on eût droit à ces phrases d’anthologie : Amendement  de repli. Le qualificatif moralisateur de « responsable » n'a pas sa place dans la loi (Nicole Borvo Cohen-Seat, communiste). Je ne suis pas enchanté par la « vie responsable » (Louis Mermaz, socialiste). L’article 1er A fut adopté par le Sénat. 

   Mais cet acquis allait être remis en cause, par la droite cette fois-ci,  à l’Assemblée national le 22 septembre, sur amendement du rapporteur en personne, M. Jean-Paul Garraud : Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie […] avec  la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue et de prévenir la commission de nouvelles infractions. »  L’argumentation [sic] du  rapporteur, ancien magistrat, justifiant la suppression de la « responsabilité » mérite d’être citée : « Il n’apparaît pas souhaitable d’introduire dans la loi un terme aussi ouvert à l’interprétation que celui de  vie responsable ». Trop philosophique, pas assez juridique, pour le rapporteur. La « responsabilité » étrangère au champ juridique ? C’est très curieusement le même type d’argument que celui invoqué par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat au Sénat.

    Pour notre part, nous avions proposé le 5 octobre, à cette étape du débat  parlementaire, la rédaction suivante en vue de la réunion de la  commission mixte paritaire (CMP)[4] :  Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie […] avec  la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue en lui permettant de mener une vie responsable et exempte d'infractions.

    La version adoptée par la CMP le 7 octobre,  puis par le Sénat  et par l’Assemblée nationale le 12 octobre est ainsi libellée  : Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie […] avec nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions

  Pourquoi ce concept de « responsabilité » devait-il absolument être présent dans ce texte ? Dans  un état démocratique et laïc, que peut-on invoquer d’autre comme force de transformation de celles et ceux de nos concitoyens qui ont violé  la loi  en commettant délits ou crimes et ont, de ce fait, rompu le contrat social,  sinon l’appel à la responsabilité individuelle du condamné, dans le présent, au cours de la détention et dans le futur après la libération ? Cette notion peut surtout être très opératoire  pour juger de ce que se passe en détention (conditions générales, organisation de la vie sociale interne,  préparation à la sortie, etc.). Cette responsabilité des condamnés ne peut évidemment pas s’exercer sans le contrôle de l’appareil judiciaire, sans l’aide et le soutien de l’ensemble de la communauté nationale, par soucis de sécurité, par humanisme, par volonté de participer à  l’œuvre républicaine  de civilisation[5].


[1]Préface à l’ouvrage collectif «  La responsabilité », Editions Autrement, collection « Morales »,  2002, 286 pages.
[2] Pierre V. Tournier, Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, janvier 2008, p. 82-83.
---, L’avant-projet de loi pénitentiaire à l’aune des règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe,  Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre d’histoire sociale du XXème siècle, juin 2008,  p. 4-5.
---, La loi pénitentiaire adoptée par le Sénat. Un printemps sans hirondelle, Arpenter le champ pénal, supplément au n°128, 6 mars 2009, 22 pages.
[3]  « Crime » au sens anglais du terme, c’est-à-dire infractions pénales (contraventions, délits, crimes).
[4] Arpenter le Champ Pénal (ACP), n°157-158,  5/10/09. 
[5] A propos de responsabilités  individuelle et collective, je me permets de vous renvoyer au fameux discours  de Jean Jaurès prononcé  devant l’Assemblée  Nationale le 3 juillet 1908.

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