LETTRE OUVERTE A M. EMMANUEL MACRON
candidat à la Présidence de la République
concernant les questions
pénales
Par Pierre V. Tournier
Directeur de recherches au CNRS (en retraite)
Membre de la
commission du livre blanc sur les constructions
pénitentiaires
Monsieur Le Ministre,
Si
vous êtes élu à la Présidence de la République,
le (la) Garde des Sceaux que vous
nommerez, sur proposition du Premier Ministre, se trouvera confronté (e)
à un dossier urgence, celui de
l’inflation carcérale et de la
surpopulation des établissements pénitentiaires. Comptant sur votre absence de sectarisme, je
pense que vous ne ferez pas table rase de ce qui a été réalisé dans ce domaine, sous l’autorité de Mme Christiane Taubira
puis de M. Jean-Jacques Urvoas. Aussi le nouveau Garde des Sceaux saura-t-il faire un inventaire objectif des échecs, mais aussi
des avancées en la matière au cours des
5 dernières années, afin de définir la politique pénale et pénitentiaire de votre gouvernement.
Le
nouveau Garde des Sceaux disposera, à cet effet, de 5 précieux documents :
a.
Le rapport de la commission
présidée » par M. Bruno Cotte « sur la refonte du droit des peines » (18
décembre 2015) qui s’inscrit, logiquement, dans la suite de la loi du 15 août
2014 relative à l’individualisation des
peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, loi qui a créé la
contrainte pénale et la libération sous
contrainte.
b.
le rapport de la Chancellerie « En finir avec la surpopulation carcérale » (20 sept. 2016),
c.
le rapport sur « La mise en œuvre de la loi du 15
août 2014 », relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des
sanctions pénales (21 octobre 2016),
d.
le « Livre Blanc sur les constructions pénitentiaires » élaboré
par une large commission présidée par M.
Jean-René Lecerf, texte qui sera remis
fin mars-début avril 2017 au Garde des Sceaux. Après examen de ce document, le nouveau Ministre de la Justice marquerait les esprits
en réunissant, une nouvelle fois, cette commission dans la même composition, pour une discussion
d’ensemble sur les 25 préconisations du
livre blanc.
e.
Sans oublier le « Livre blanc sur « le surpeuplement carcéral » du
Conseil de l’Europe (28 sept. 2016). Ce document « ne formule pas de
nouvelles recommandations spécifiques en matière de surpeuplement carcéral -
les préconisations de la Recommandation n° R (99) 22 concernant le
surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale demeurent d’actualité - mais
met en lumière les aspects autour desquels pourrait tourner le dialogue que
devraient amorcer et entretenir les autorités nationales pour définir de
manière concertée des stratégies de long terme et des mesures spécifiques de
lutte contre le surpeuplement carcéral […].
Sans plus attendre, j’ai souhaité examiner
et commenter 13 des propositions que vous présentez dans votre programme sur la
question pénale. Pour ce faire, je les
ai classées en quatre chapitres, en
suivant l’ordre du processus pénal, du prononcé des peines à leur éventuel aménagement.
Je ne traiterai pas ici des questions qui semblent omises dans votre programme.
Je pense en particulier à la détention provisoire : aujourd’hui, les ¾ de
l’inflation carcérale sont dus à la croissance récente du nombre de
prévenus.
I. - Mesures et sanctions pénales non carcérales
1. E.M. : « L’enfermement est synonyme de rupture
sociale (perte d’emploi, désagrégation des liens familiaux, sociaux). Cette
rupture peut être indispensable dans certains cas mais nous devons prendre la
mesure des conséquences qui en découlent pour la société et considérer que
d’autres peines, aux conséquences moins lourdes pour le corps social, sont plus
adéquates ». [source : https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/justice]
- Commentaire
: je trouve que c’est une façon très édulcorée de réaffirmer le principe affirmé,
en droit français comme par les instances du Conseil de l’Europe, selon lequel la privation de liberté doit être
une mesure ou une sanction de dernier recours. Ce qui n’est toujours pas le cas
aujourd’hui en France. Aussi, la politique pénale à mener doit comprendre deux
volets complémentaires : 1. améliorer les conditions de détention en
créant, si nécessaire, de nouvelles places de prison, 2.
réduire le nombre de détenus, en particulier par le développement des
mesures et sanctions non carcérales.
2. E.M. : « Les sanctions immédiates seront développées.
Par exemple, nous proposons de sanctionner les petites infractions (comme
l’usage de petites doses de cannabis) par le paiement d’une contravention. Elle
sera perçue simplement comme il est procédé aujourd’hui pour les infractions au
code de la route, voire immédiatement sur la voie publique. Ceci évitera
d’engager une lourde procédure ne débouchant sur aucune peine dissuasive. Elle
sera d’un montant suffisamment important pour être réellement dissuasive ».
- Commentaire : A ma grande
satisfaction, E. Macron ne propose pas de dépénaliser l’usage du cannabis. La transformation
proposée de certains délits (à préciser) en contravention s’inscrit dans la
continuité de la politique initiée, en la matière, par Christiane Taubira et concrétisée par
Jean-Jacques Urvoas (loi du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la
justice du XXIème siècle).
3. E.M. : « Nous
créerons une agence des mesures alternatives à l’incarcération pour encourager
le développement des travaux d’intérêt général comme modalité alternative
d’exécution de la peine.
Concrètement,
cette agence aura la charge de recenser les tâches pouvant faire l’objet de
travail d’intérêt général. Il s’agira d’offrir une meilleure répartition
géographique de ces tâches,
d’encourager ceux qui veulent en créer car les travaux d’intérêt général,
substituts intelligents et précieux à l’incarcération, sont insuffisamment
développés ».
- Commentaire :
Excellente proposition qui pourrait s’appuyer, dans sa réalisation, sur le travail déjà effectué sur le TIG par
l’Association Chantiers-Passerelles
créée par deux jeunes ingénieurs de l’Ecole centrale de Paris. Cette agence devrait concerner l’ensemble des
mesures et sanctions appliquées dans la communauté et ne pas se limiter au
TIG : recenser les activités éventuelles d’accompagnement de la contrainte
pénale, du sursis avec mise à l’épreuve, des aménagements sous écrou
(semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance
électronique), mais aussi de la libération conditionnelle.
4. E.M. : « Nous augmenterons les moyens des
services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) avec l’objectif
d’atteindre une moyenne de 40 personnes par agent ».
- Commentaire :
Aujourd’hui, la Direction de l’administration pénitentiaire est incapable de fournir
des données précises sur le nombre de dossiers confiés à chaque conseiller
pénitentiaire d’insertion et de probation (nombre moyen et variations autour de cette moyenne par CPIP
et par SPIP, sur le territoire). En tout
état de cause, 40 dossiers par CPIP, cela constituerait un progrès
considérable. Comme sur bien des questions du champ pénal, il y a urgence à
pouvoir disposer de données statistiques publiques sur les personnes prises en
charge dans chaque SPIP et sur le personnel affecté à cette tâche.
II
- Exécution des peines
5. E.M. : « Les décisions rendues par la
justice seront effectivement appliquées
(toute peine prononcée, est une peine exécutée) »
- Commentaire : Une décision de
justice a vocation à être appliquée, une peine prononcée a vocation à être mise à exécution. Cela ne
veut pas dire qu’une peine de 5 ans d’emprisonnement ferme doit se traduire par 5 ans de détention.
Aussi l’usage, par E. Macron, de la
formule « toute peine
prononcée, est une peine exécutée » » est maladroit. On pourrait
penser qu’E. Macron défend l’idée de
« peines incompressibles », chère à la droite extrême et à l’extrême
droite. Ce qui n’est pas le cas (voir infra : possibilité
d’aménagement en cours de détention).
III. - Conditions de détention
6. E.M. : « Pour pouvoir se réinsérer dans la société à
sa sortie de prison, le détenu doit avoir vécu sa détention dans des conditions dignes ».
- Commentaire : Le respect de
la dignité de toutes et tous, en toutes circonstances, est au cœur du projet de notre République. Par
ailleurs, je l’ai souvent rappelé : la première condition (nécessaire mais
pas suffisante) pour lutter efficacement contre la récidive est de respecter la
dignité de toutes personnes placées sous main de justice, prévenues comme
condamnées, personnes détenues comme personnes prises en charge dans la
communauté. Dans cet objectif, il est essentiel de se référer,
systématiquement aux règles
pénitentiaires européennes (Conseil de l’Europe 2006), comme aux règles
européennes sur la probation (Conseil de l’Europe, 2010), à la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme comme aux recommandations du comité européen de prévention de la torture et des
traitements inhumains ou dégradant (CPT). A ce sujet, j’espère que le
nouveau Garde des Sceaux acceptera
la procédure de publication automatique des rapports du CPT comme plusieurs
États membres du Conseil de l’Europe l’ont déjà fait.
7. E.M. : « Nous rénoverons les bâtiments pénitentiaires
anciens pour qu’ils soient aux normes d’habitat décent. Nous remplacerons
nombre pour nombre ceux qui ne pourront être rénovés ».
8. E.M. : « Nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires
sur le quinquennat »
- Commentaire : Dans son
rapport « En finir avec la surpopulation carcérale », Jean-
Jacques Urvoas écrit la chose suivante : « En définitive, en tenant
compte du programme immobilier en cours et, indépendamment de la politique
pénale conduite (sic), ce sont entre 10 309 cellules (dont près de 800 doubles) et
16 143 cellules (dont près de 1 500 doubles) qui devraient être
construites en maison d’arrêt et dans les autres établissements aux fins de
généralisation de l’encellulement individuel ». En termes de places, cela donne
un effectif compris entre 11 100 et 17 600, intervalle dont le centre
est de 14 350. Dans le cadre du
livre blanc, la direction de l’administration pénitentiaire nous a présenté des
projections en termes de surveillants à former qui étaient basées sur 15 000
places nouvelles mais sur 10 ans. E . Macron parle du quinquennat ! Ce nombre de 15 000, un peu magique, peut avoir du sens : c’est
pratiquement le nombre de détenus en surnombre aujourd’hui (14 710 au 1er
février 2017). Cela signifie qu’il y a 15 000 détenus de trop ou qu’il manque
15 000 places … aujourd’hui. Ce seul chiffre que la Chancellerie se refuse à
prendre en considération, montre qu’une politique de construction qui ne s’accompagne pas d’une politique
réductionniste volontaire et responsable du nombre de détenus ne peut pas
permettre de réduire significativement
la surpopulation et encore moins de respecter à termes l’encellulement individuel.
9. E.M. : « L’objectif est, in fine, que 80 % des détenus au moins soient en
cellule individuelle. Nous devons également revenir à des établissements à
taille humaine, dans lesquels il soit possible d’organiser un parcours de
détention, des activités, du travail ».
- Commentaire : Cette
proposition s’inscrit, elle aussi, dans
la continuité du rapport de Dominique Raimbourg sur l’encellulement individuel
(30 novembre 2014) et de la politique engagée par Jean-Jacques Urvoas (voir
aussi le livre blanc sur les constructions pénitentiaires).
10. E.M. : « Il faut inscrire obligatoirement le détenu dans un parcours de
travail ou de formation : mettre fin à l’inactivité et concevoir les nouveaux
hébergements autour de cette notion d’activité ».
- Commentaires : Cette
question, essentielle, a été au cœur des travaux de la commission du livre
blanc sur les constructions pénitentiaires. Si ces recommandations sont suivies
d’effet, les nouveaux établissements
seront conçus pour permettre 5 heures d’activités par jour, aux
personnes détenues, ces activités ayant lieu hors de la cellule. Dans son
rapport « En finir avec la surpopulation carcérale »,
Jean-Jacques Urvoas écrivait : […] atteindre,
à terme, l'objectif de 5 heures d'activités par jour et par personne détenue.
Toutefois, en 2014, toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives,
éducatives, ou de travail), une personne détenue ne peut, en moyenne, n'avoir accès
qu'à une heure d'activité ».
11. E.M. : « Un régime légal du travail pénitentiaire
sera instauré par la loi, rendant applicables, sous réserve des adaptations
nécessaires, les principales règles du code du travail. »
- Commentaire : La loi
pénitentiaire du 24 novembre 2009 avait montré, timidement la voie. Qu’E.
Macron veuille aller plus loin est très positif, même si cette question doit
être globalement abordée autour de celle des activités en détention (voir supra).
IV. - Aménagement des peines
privatives de liberté
12. E.M. : « Toute personne condamnée à une peine de prison ferme inférieure
ou égale à 2 ans devra être effectivement incarcérée avant que ne soient
envisagées des mesures d’aménagement de cette peine. Le principe de
l’automaticité de l’examen de l’aménagement de peine sera donc supprimé ».
- Commentaire : Cette proposition
d’importance consiste, semble-t-il, à
supprimer la possibilité qui existe aujourd’hui d’aménager une peine
d’emprisonnement ferme de 2 ans ou moins ab initio,
c’est-à-dire avant la mise à exécution de la peine (en détention), directement
par la juridiction de jugement lors de l’audience ou devant le juge de
l’application des peines. Sur le principe, j’ai souvent moi-même fait cette
proposition. Le tribunal doit prendre ses responsabilités : s’il
veut envoyer le prévenu en prison, il prononce une peine ferme (voire mixte),
si ce n’est pas le cas, il peut prononcer une contrainte pénale, voire un
sursis avec mise à l’épreuve. Les choses seraient plus claires pour le
condamné, la victime, la société. Il est difficile de faire admettre à nos
concitoyens qu’une décision du tribunal puisse être immédiatement - ou presque remise en cause. Ce qui n’a rien à voir avec
l’aménagement de la peine d’emprisonnement
ferme, en cours de détention (sas avant la libération). Mais attention : si une telle
proposition était – un peu trop vite - retenue, sans autres considérations,
elle entrainerait mécaniquement une croissance considérable du nombre de
personnes détenues. En fait, elle ne peut être
retenue que si elle s’accompagne d’un fort développement et de la
contrainte pénale, sanction non citée dans les propositions d’E. Macron (pour
réduire les entrées en détention) et de
la libération conditionnelle (pour réduire les durées de détention). Une proposition de bon sens à manier avec une
infinie précaution.
13. E.M. : « Nous instaurerons le principe d’un examen automatique de
l’aménagement de la peine aux 2/3 de la peine exécutée. Sauf avis contraire du
juge de l’application des peines, le détenu verra sa peine aménagée. La
décision sera évidemment accompagnée de mesures alternatives à la
détention ».
- Commentaire : Sans le
préciser, E. Macon propose ici de réformer la « libération sous contrainte »
introduite dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et
renforçant l’efficacité des sanctions pénales (Art. 39). Cette modification du
texte reprend une proposition faite, en son temps, par Dominique Raimbourg,
alors vice-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, pour
les condamnés à une peine de 5 ans ou moins d’emprisonnement (rapport du 23
janvier 2013). Cette nouvelle formulation s’appuie sur l’idée que la libération
anticipée, préparée en détention et encadrée à l’extérieur devrait être la règle,
les « sorties sèches », étant considérées comme peu efficaces en
matière de lutte contre la récidive. Même
si cette proposition tend à accroitre
le nombre de libérations sous
contrainte, elle ne me parait pas suffisante pour réellement aller vers la
systématisation des sorties accompagnées. Aussi me parait-il urgent de
reprendre la question de la libération
conditionnelle sur la base de la recommandation
du Conseil de l’Europe du 24 septembre 2003 et d’aller vers ce que l’on
appelle dans ce texte un « système
mixte ».
Prêt au dialogue avec celles et ceux qui
animent votre campagne, je vous prie
d’agréer, Monsieur Le Ministre,
l’expression de ma haute considération.
Pierre V. Tournier
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