samedi 18 mars 2017

Paris, le 17 mars 2017.


LETTRE OUVERTE A M. EMMANUEL MACRON

candidat à la Présidence de la République

concernant les questions pénales 

Par Pierre V. Tournier
Directeur de recherches au CNRS (en retraite)
Membre de la commission du livre blanc sur les constructions  pénitentiaires

Monsieur Le Ministre,

Si vous êtes élu à la Présidence de la République,  le (la) Garde des Sceaux que vous  nommerez, sur proposition du Premier Ministre, se trouvera confronté (e) à un dossier  urgence, celui de l’inflation carcérale  et de la surpopulation des établissements pénitentiaires.  Comptant sur votre absence de sectarisme, je pense que vous ne ferez pas table rase de ce qui a été réalisé  dans ce domaine, sous l’autorité de Mme Christiane  Taubira  puis de M. Jean-Jacques Urvoas.  Aussi le nouveau Garde des Sceaux saura-t-il  faire un inventaire objectif des échecs, mais aussi des avancées en la matière  au cours des 5 dernières années, afin de définir la politique pénale et pénitentiaire  de votre gouvernement.   

Le nouveau Garde des Sceaux disposera, à cet effet, de 5 précieux documents :

a.      Le rapport de la commission présidée » par M. Bruno Cotte  « sur la refonte du droit des peines » (18 décembre 2015) qui s’inscrit, logiquement, dans la suite de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, loi qui a créé la contrainte  pénale et la libération sous contrainte.    

b.     le rapport de  la Chancellerie  «  En finir avec la surpopulation carcérale »  (20 sept. 2016),

c.      le rapport  sur « La mise en œuvre  de la loi du 15 août 2014 », relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (21 octobre 2016),

d.     le « Livre Blanc sur les constructions pénitentiaires » élaboré par une large commission  présidée par M. Jean-René Lecerf,  texte qui sera remis fin mars-début avril 2017 au Garde des Sceaux. Après examen de  ce document, le nouveau Ministre de la Justice marquerait les esprits en réunissant, une nouvelle fois, cette commission  dans la même composition, pour une discussion d’ensemble  sur les 25 préconisations du livre blanc.

e.      Sans oublier le « Livre blanc sur « le surpeuplement carcéral »  du Conseil de l’Europe (28 sept. 2016). Ce document « ne formule pas de nouvelles recommandations spécifiques en matière de surpeuplement carcéral - les préconisations de la Recommandation n° R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale demeurent d’actualité - mais met en lumière les aspects autour desquels pourrait tourner le dialogue que devraient amorcer et entretenir les autorités nationales pour définir de manière concertée des stratégies de long terme et des mesures spécifiques de lutte contre le surpeuplement carcéral […].

     Sans plus attendre, j’ai souhaité examiner et commenter 13 des propositions que vous présentez dans votre programme sur la question pénale. Pour ce  faire, je les ai classées  en quatre chapitres, en suivant l’ordre du processus pénal, du prononcé des peines à leur éventuel aménagement. Je ne traiterai pas ici des questions qui semblent omises dans votre programme. Je pense en particulier à la détention provisoire : aujourd’hui, les ¾ de l’inflation carcérale sont dus à la croissance récente du nombre de prévenus.                       

I. - Mesures et sanctions pénales non carcérales 

1. E.M. : « L’enfermement est synonyme de rupture sociale (perte d’emploi, désagrégation des liens familiaux, sociaux). Cette rupture peut être indispensable dans certains cas mais nous devons prendre la mesure des conséquences qui en découlent pour la société et considérer que d’autres peines, aux conséquences moins lourdes pour le corps social, sont plus adéquates ». [source : https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/justice]

- Commentaire : je trouve que c’est une façon très édulcorée de réaffirmer le principe affirmé, en droit français comme par les instances du Conseil de l’Europe,  selon lequel la privation de liberté doit être une mesure ou une sanction de dernier recours. Ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui en France. Aussi, la politique pénale à mener doit comprendre deux volets complémentaires : 1. améliorer les conditions de détention en créant, si nécessaire, de nouvelles places de prison,  2.  réduire le nombre de détenus, en particulier par le développement des mesures et sanctions non carcérales. 

2. E.M. : « Les sanctions immédiates seront développées. Par exemple, nous proposons de sanctionner les petites infractions (comme l’usage de petites doses de cannabis) par le paiement d’une contravention. Elle sera perçue simplement comme il est procédé aujourd’hui pour les infractions au code de la route, voire immédiatement sur la voie publique. Ceci évitera d’engager une lourde procédure ne débouchant sur aucune peine dissuasive. Elle sera d’un montant suffisamment important pour être réellement dissuasive ».

- Commentaire : A ma grande satisfaction, E. Macron ne propose pas de dépénaliser l’usage du cannabis. La transformation proposée de certains délits (à préciser) en contravention s’inscrit dans la continuité de la politique initiée, en la matière,  par Christiane Taubira et concrétisée par Jean-Jacques Urvoas  (loi  du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice du XXIème siècle).      

3. E.M. : « Nous créerons une agence des mesures alternatives à l’incarcération pour encourager le développement des travaux d’intérêt général comme modalité alternative d’exécution de la peine.

Concrètement, cette agence aura la charge de recenser les tâches pouvant faire l’objet de travail d’intérêt général. Il s’agira d’offrir une meilleure répartition géographique de ces tâches, d’encourager ceux qui veulent en créer car les travaux d’intérêt général, substituts intelligents et précieux à l’incarcération, sont insuffisamment développés ».

- Commentaire : Excellente proposition qui pourrait s’appuyer, dans sa réalisation,  sur le travail déjà effectué sur le TIG par l’Association Chantiers-Passerelles  créée par deux jeunes ingénieurs de l’Ecole centrale de Paris.  Cette agence devrait concerner l’ensemble des mesures et sanctions appliquées dans la communauté et ne pas se limiter au TIG : recenser les activités éventuelles d’accompagnement de la contrainte pénale, du sursis avec mise à l’épreuve, des aménagements sous écrou (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique), mais aussi de la libération conditionnelle.   

4.  E.M. : « Nous augmenterons les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) avec l’objectif d’atteindre une moyenne de 40 personnes par agent ».

- Commentaire : Aujourd’hui, la Direction de l’administration pénitentiaire est incapable de fournir des données précises sur le nombre de dossiers confiés à chaque conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (nombre moyen et  variations autour de cette moyenne par CPIP et par SPIP, sur le territoire).  En tout état de cause, 40 dossiers par CPIP, cela constituerait un progrès considérable. Comme sur bien des questions du champ pénal, il y a urgence à pouvoir disposer de données statistiques publiques sur les personnes prises en charge dans chaque SPIP et sur le personnel affecté à cette tâche.              

II - Exécution des peines 

5. E.M. : « Les décisions rendues par la justice seront effectivement appliquées (toute peine prononcée, est une peine exécutée) »

- Commentaire : Une décision de justice a vocation à être appliquée, une peine prononcée  a vocation à être mise à exécution. Cela ne veut pas dire qu’une peine de 5 ans d’emprisonnement ferme  doit se traduire par 5 ans de détention. Aussi l’usage, par E. Macron,  de la formule « toute peine prononcée, est une peine exécutée » » est maladroit. On pourrait penser qu’E. Macron défend l’idée  de « peines incompressibles », chère à la droite extrême et à l’extrême droite. Ce qui n’est pas le cas (voir infra : possibilité d’aménagement en cours de détention).

III. - Conditions de détention

6. E.M. : « Pour pouvoir se réinsérer dans la société à sa sortie de prison, le détenu doit avoir vécu sa détention dans des conditions dignes ».

- Commentaire : Le respect de la dignité de toutes et tous, en toutes circonstances,  est au cœur du projet de notre République. Par ailleurs, je l’ai souvent rappelé : la première condition (nécessaire mais pas suffisante) pour lutter efficacement contre la récidive est de respecter la dignité de toutes personnes placées sous main de justice, prévenues comme condamnées, personnes détenues comme personnes prises en charge dans la communauté. Dans cet objectif, il est essentiel de se référer, systématiquement  aux règles pénitentiaires européennes (Conseil de l’Europe 2006), comme aux règles européennes sur la probation (Conseil de l’Europe, 2010), à  la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comme aux recommandations du comité  européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradant (CPT). A ce sujet, j’espère que le nouveau Garde des Sceaux acceptera la procédure de publication automatique des rapports du CPT comme plusieurs États membres du Conseil de l’Europe l’ont déjà fait. 

7. E.M. : « Nous rénoverons les bâtiments pénitentiaires anciens pour qu’ils soient aux normes d’habitat décent. Nous remplacerons nombre pour nombre ceux qui ne pourront être rénovés ».

8. E.M. : « Nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat »

- Commentaire : Dans son rapport «  En finir avec la surpopulation carcérale », Jean- Jacques Urvoas écrit la chose suivante : « En définitive, en tenant compte du programme immobilier en cours et, indépendamment de la politique pénale conduite (sic), ce sont entre 10 309  cellules (dont près de 800 doubles) et 16 143 cellules (dont près de 1 500 doubles) qui devraient être construites en maison d’arrêt et dans les autres établissements aux fins de généralisation de l’encellulement individuel ». En termes de places, cela donne un effectif compris entre 11 100 et 17 600, intervalle dont le centre est de 14 350.  Dans le cadre du livre blanc, la direction de l’administration pénitentiaire nous a présenté des projections en termes de surveillants à former qui étaient basées sur 15 000 places nouvelles mais sur 10 ans. E . Macron  parle du quinquennat !  Ce nombre de 15 000,  un peu magique, peut avoir du sens : c’est pratiquement le nombre de détenus en surnombre aujourd’hui (14 710 au 1er février 2017). Cela signifie qu’il y a 15 000 détenus de trop ou qu’il manque 15 000 places … aujourd’hui. Ce seul chiffre que la Chancellerie se refuse à prendre en considération, montre qu’une politique de construction  qui ne s’accompagne pas d’une politique réductionniste volontaire et responsable du nombre de détenus ne peut pas permettre de réduire  significativement la surpopulation et encore moins de respecter à termes l’encellulement  individuel.           

9. E.M. : « L’objectif est, in fine, que 80 % des détenus au moins soient en cellule individuelle. Nous devons également revenir à des établissements à taille humaine, dans lesquels il soit possible d’organiser un parcours de détention, des activités, du travail ».

- Commentaire : Cette proposition  s’inscrit, elle aussi, dans la continuité du rapport de Dominique Raimbourg sur l’encellulement individuel (30 novembre 2014) et de la politique engagée par Jean-Jacques Urvoas (voir aussi le livre blanc sur les constructions pénitentiaires).  

10. E.M. : « Il faut inscrire obligatoirement le détenu dans un parcours de travail ou de formation : mettre fin à l’inactivité et concevoir les nouveaux hébergements autour de cette notion d’activité ».

- Commentaires : Cette question, essentielle, a été au cœur des travaux de la commission du livre blanc sur les constructions pénitentiaires. Si ces recommandations sont suivies d’effet, les nouveaux établissements  seront conçus pour permettre 5 heures d’activités par jour, aux personnes détenues, ces activités ayant lieu hors de la cellule. Dans son rapport «  En finir avec la surpopulation carcérale », Jean-Jacques Urvoas écrivait : […] atteindre, à terme, l'objectif de 5 heures d'activités par jour et par personne détenue. Toutefois, en 2014, toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives, éducatives, ou de travail), une personne détenue ne peut, en moyenne, n'avoir accès qu'à une heure d'activité ».

11. E.M. : « Un régime légal du travail pénitentiaire sera instauré par la loi, rendant applicables, sous réserve des adaptations nécessaires, les principales règles du code du travail. »

- Commentaire : La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 avait montré, timidement la voie. Qu’E. Macron veuille aller plus loin est très positif, même si cette question doit être globalement abordée autour de celle des activités en détention (voir supra).     

IV. - Aménagement des peines privatives de liberté

12. E.M. : « Toute personne condamnée à une peine de prison ferme inférieure ou égale à 2 ans devra être effectivement incarcérée avant que ne soient envisagées des mesures d’aménagement de cette peine. Le principe de l’automaticité de l’examen de l’aménagement de peine sera donc supprimé ».

- Commentaire : Cette proposition d’importance consiste, semble-t-il,  à supprimer la possibilité qui existe aujourd’hui d’aménager une peine d’emprisonnement ferme de 2 ans ou moins ab initio, c’est-à-dire avant la mise à exécution de la peine (en détention), directement par la juridiction de jugement lors de l’audience ou devant le juge de l’application des peines. Sur le principe, j’ai souvent moi-même fait cette proposition. Le tribunal doit prendre ses responsabilités : s’il veut envoyer le prévenu en prison, il prononce une peine ferme (voire mixte), si ce n’est pas le cas, il peut prononcer une contrainte pénale, voire un sursis avec mise à l’épreuve. Les choses seraient plus claires pour le condamné, la victime, la société. Il est difficile de faire admettre à nos concitoyens qu’une décision du tribunal puisse être  immédiatement - ou presque  remise en cause. Ce qui n’a rien à voir avec l’aménagement de la peine d’emprisonnement  ferme, en cours de détention (sas avant la libération).  Mais attention : si une telle proposition était – un peu trop vite - retenue, sans autres considérations, elle entrainerait mécaniquement une croissance considérable du nombre de personnes détenues. En fait, elle ne peut être  retenue que si elle s’accompagne d’un fort développement et de la contrainte pénale, sanction non citée dans les propositions d’E. Macron (pour réduire les entrées en détention)  et de la libération conditionnelle (pour réduire les durées de détention).  Une proposition de bon sens à manier avec une infinie précaution.                

13. E.M. : « Nous instaurerons le principe d’un examen automatique de l’aménagement de la peine aux 2/3 de la peine exécutée. Sauf avis contraire du juge de l’application des peines, le détenu verra sa peine aménagée. La décision sera évidemment accompagnée de mesures alternatives à la détention ».

- Commentaire : Sans le préciser, E. Macon propose ici de réformer la « libération sous contrainte » introduite dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (Art. 39). Cette modification du texte reprend une proposition faite, en son temps, par Dominique Raimbourg, alors vice-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, pour les condamnés à une peine de 5 ans ou moins d’emprisonnement (rapport du 23 janvier 2013). Cette nouvelle formulation s’appuie sur l’idée que la libération anticipée, préparée en détention et encadrée à l’extérieur devrait être la règle, les « sorties sèches », étant considérées comme peu efficaces en matière de lutte contre la récidive.  Même si cette  proposition tend à accroitre le  nombre de libérations sous contrainte, elle ne me parait pas suffisante pour réellement aller vers la systématisation des sorties accompagnées. Aussi me parait-il urgent de reprendre  la question de la libération conditionnelle sur la base de la recommandation  du Conseil de l’Europe du 24 septembre 2003 et d’aller vers ce que l’on appelle dans ce texte un  « système mixte ».       

     Prêt au dialogue avec celles et ceux qui animent votre campagne,  je vous prie d’agréer, Monsieur  Le Ministre, l’expression de ma haute considération.  

Pierre V. Tournier






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