vendredi 18 juillet 2014

SANCTIONNER SANS EMPRISONNER : Naissance de la contrainte pénale


par Pierre V. Tournier

      Suite à l’accord conclu en commission mixte paritaire, le 8 juillet 2014, le projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a été adopté par l’Assemblé nationale le 16 juillet et par le Sénat le 17 juillet.  Ainsi 8 années se seront écoulées depuis la publication de notre texte du 1er juillet 2006 intitulé « Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elles »[1], dans lequel nous préconisions la création d’une nouvelle peine de probation, inspirée de la probation « à l’anglaise », peine qui  « pourrait remplacer le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve,  le TIG peine principale… ». 
 
      Cette sanction que nous nous proposions d’appeler « contrainte pénale communautaire » dans un texte publié en novembre 2011[2], est donc  instituée dans l’article 8 du texte adopté, sous le nom retenu de « contrainte pénale » :

     « Art. 131-4-1. – Lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans et les faits de l’espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridiction peut prononcer la peine de contrainte pénale.

     « La contrainte pénale emporte pour le condamné l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société » […].

    « Dans les deux ans suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement étudiant la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue, et évaluant les effets possibles d’une telle évolution sur les condamnations prononcées ainsi que ses conséquences sur la procédure pénale. »

   La distance est grande entre le projet  que nous avons défendu  dans les nombreux textes que nous a avons regroupés dans le présent document et ce qui vient d’être voté par le Parlement.  Il suffit, pour s’en convaincre de reprendre les 3 derniers points de notre article  paru dans Arpenter le Champ pénal, en  novembre 2011, et  repris dans l’appel du 1er juin 2012 :

     « 7. La création de cette nouvelle sanction permettrait d’abandonner les sursis simples, les sursis avec mise à l’épreuve, le TIG peine principale, le jour-amende, la dispense de peine… De ce fait, la contrainte pénale communautaire pourrait, à terme, représenter 50 % des sanctions prononcées en matière de délit et ainsi détrôner les sanctions privatives de liberté, fermes (20 % aujourd’hui).

    8. La contrainte pénale communautaire pourrait, naturellement, être adaptée aux mineurs.

    9. Enfin, un grand nombre d’infractions actuellement susceptibles d’être sanctionnées par une sanction privative de liberté devraient être sanctionnées, au maximum, par  la contrainte pénale communautaire. Cela deviendrait la sanction de référence. D’une certaine manière, la prison deviendrait la sanction alternative… à la contrainte pénale communautaire. » 

    Constater cet écart ne représente en rien une critique frontale des choix faits par le Gouvernement et des décisions  prises par la Commission mixte paritaire. Nous y reviendrons en détail, en examinant le long processus qui a amené à ce résultat, ainsi que le rôle des principaux acteurs[3].     

     En attendant de plus amples développements, objet de notre prochain ouvrage à paraître en 2015, nous laisserons la conclusion, provisoire, à Franck Johannes, journaliste au quotidien Le Monde (9/7/14)[4] :  « Au total, ce texte de compromis pose les bases d'une nouvelle peine, la contrainte pénale, qu'il faudra nécessairement aménager dans les prochaines années. Ce n'est qu'un pas en avant, sans doute insuffisant, et dont le sort dépend de la façon dont les magistrats vont s'en saisir. Mais il traduit un réel changement de philosophie, car il existe désormais trois types de sanctions pénales pour les délits : la prison, la probation [la contrainte pénale], et l’amende »[5].       

    Franck Johannes rejoint ce qu’Antoine Garapon  a pu dire, le 14 mai 2014, devant la Commission des Lois du Sénat : « Ce projet de loi fait rupture, mais ne va pas intellectuellement jusqu’au bout de ses propositions. [Il] consacre d’abord une rupture symbolique en substituant à l’idée de peine comme souffrance celle de la peine comme contrainte. Plus qu’un tournant sémantique, c’est un tournant conceptuel ».

Le document peut vous être adressé gratuitement  sur simple demande :
 





      [1] Tournier P.V., Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elles, Publication de  DES Maintenant en Europe, 1er juillet 2006, 15 p.
     [2] Tournier P.V., « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement. Mettre au centre de l’échelle des sanctions la contrainte pénale communautaire », Arpenter le Champ pénal, n° 250, 21 nov. 2011.
 
     [3] On pourra déjà se reporter au premier travail universitaire réalisé sur le sujet : Fages J., La peine de contrainte pénale, Mémoire de Master 2 droit de la sanction  pénale et de l’exécution des peines, Université de Montpellier 1, juin 2014,  148 p.

     [4] Franck Johannès,  « Un texte de compromis sur la réforme pénale sauve la peine de probation »,  Le Monde, 9 juillet 2014.

     [5] Avant promulgation, il est probable que le Conseil constitutionnel  sera saisi par l’opposition. 

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