Critique parue dans l’OURS (Office universitaire de
recherche socialiste), mensuel
socialiste de critique littéraire, artistique, culturelle.
Pierre Victor TOURNIER, La Prison. Une nécessité pour la République, Paris, Buchet-Chastel, 2013, 261 p. Préface d’Elisabeth Guigou. 19 euros.
Par Christian Chevandier
Professeur d’histoire
contemporaine à l’Université du Havre
En cinq parties, l’ouvrage aborde les différents
aspects de la peine de privation de liberté, et termine par la question que
pose l’enfermement en démocratie. Beaucoup de thèmes sont abordés, comme celui
de la surpopulation carcérale, que personne n’a étudié aussi bien que l’auteur
qui différencie la surpopulation apparente, les détenus en surnombre, explique
en un chapitre très didactique comment distinguer les cas de figure, les
conséquences également, mais aussi à quel point les situations observées
correspondent (ou non) aux dispositions législatives ou aux règles
internationales. L’auteur tient (et diffuse) depuis plusieurs années des
statistiques régulières et raisonnées des places opérationnelles, des places
inoccupées, des détenus dormant sur des matelas posés à même le sol qui lui
permettent d’étayer ce chapitre.
L’inflation des pratiques d’incarcération n’est pas une solution nous
explique-t-il, pas plus que ne sont pertinents des discours abolitionnistes qui
ignorent « le jour d’après », le lendemain de la suppression des
prisons, et dont un singulier florilège nous est fourni (dont je ne peux
m’empêcher de citer « Car jamais ne cesseront l’oppression ni la barbarie
de la vie en société » d’une thuriféraire de toutes les abolitions – de
l’école, de la psychiatrie, de la prison). Et c’est bien pour penser la prison
à partir de la réalité que ce livre a été écrit. Le sous-titre, « Une
nécessité pour la République », dit de prime abord que l’auteur n’est pas
dupe mais il insiste pour que, précisément, c’est au cœur de celle-ci que doit
s’inscrire l’ensemble du processus de la peine. Et s’il ne nous explique pas
que les prisons françaises sont les pires du monde, c’est bien parce qu’il
connait l’état de la plupart des autres systèmes pénitentiaires.
Les passages sans doute les plus importants sont ceux
qui situent au sein d’une société qui évolue la dynamique qui court de l’acte
dont est jugé l’éventuel auteur (présumé innocent) jusqu’à la réinsertion. Un
singulier tableau nous fait comprendre comment il peut y avoir de plus en plus
de personnes en prison, et (parfois) de moins en moins de personnes qui y
entrent. C’est la distinction que font les démographes entre flux et stocks qui
permet de montrer comment, au début des années 1980, nous sommes passés d’une
inflation carcérale du fait du flux des entrées à une inflation d’un autre
modèle, due à la durée du temps passé sous écrou et, surtout, que ce qui
apparaît insupportable dans notre société et qui est véritablement réprimé. Le
1er janvier 1970, la moitié (49,4%) des détenus condamnés sous écrou
l’était pour vol simple ; 42 ans plus tard, ce n’est le cas que de 7,5%.
En revanche, la part de détenus condamnés sous écrou (chaque mot, insiste
Tournier, compte) passe dans le même temps de 7,4% à 13,4% pour des viols,
agressions, atteintes sexuelles, de 5,1% à 26,5% pour des violences
volontaires. A l’évidence, le monde carcéral n’est plus le même aujourd’hui
qu’à l’époque de Michel Foucault lorsque, en décembre 1971, le Groupe
information sur les prisons s’appuyait sur les scandales de l’aire
pompidolienne pour asséner : « Qui vole un pain va en prison, qui
vole des millions va au Palais-Bourbon[1] ».
Les heureux lecteurs de son hebdomadaire électronique, Arpenter le champ pénal (auquel chacun peut s’abonner en le
demandant à pierre-victor.tournier@wanadoo.fr), seront heureux de découvrir
dans cet ouvrage une synthèse des analyses que livre chaque semaine Pierre
Victor Tournier. Les autres gagneraient à lire le livre de celui qui est devenu
le meilleur connaisseur du système pénitentiaire, peut-être tout simplement
parce qu’il est capable de se poser des questions. Et de tenter d’y répondre.
Christian
Chevandier
professeur d'histoire contemporaine, Université du Havre
[1] Sur le GIP, voir Philippe Artières,
Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Le Groupe d’information sur les prisons. Archives d’une lutte,
1970-1970, Paris, Editions de l’IMEC, 2003.
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