dimanche 10 novembre 2013

LA PRISON. Une nécessité pour la République


Critique parue dans l’OURS (Office universitaire de recherche socialiste),  mensuel socialiste de critique littéraire, artistique, culturelle.    

Pierre Victor TOURNIER, La Prison. Une nécessité pour la République, Paris, Buchet-Chastel, 2013, 261 p. Préface d’Elisabeth Guigou. 19 euros.

Par Christian Chevandier

Professeur  d’histoire contemporaine à l’Université du Havre

      Pierre Victor Tournier est quelqu’un de sérieux, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de démographie pénale. L’on ne pourrait imaginer qu’il commence par un quizz un ouvrage préfacé par une ancienne garde des Sceaux. C’est pourtant ce qu’il fait, empruntant il est vrai l’exercice au contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Claude Delarue, qui l’avait élaboré pour préparer un débat. Et il tente même de répondre aux 34 questions. A plusieurs reprises, il se contente d’un sobre « Nous ne le savons pas ». Comme il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas, cet ouvrage se révèle fort instructif, ne serait-ce que parce qu’il explique d’abord pourquoi nous les ignorons et quelles recherches il faudrait faire pour trouver des réponses. Rigoureux, Tournier l’est avant tout dans l’élaboration, le maniement et l’interprétation des chiffres, mais aussi dans l’usage du vocabulaire. Plutôt que le terme « criminel », il préfère utiliser « prévenu en matière criminelle » ou « condamné pour crime » et se méfie du mot « délinquant ». Il ne prend pas non plus pour argent comptant les expressions banales et les lieux communs sur la prison. Est-elle ainsi vraiment l’école du crime ? Et pourquoi ceux qui l’affirment nient-ils alors l’importance de la récidive (terme ambigu, et trop souvent confondu pour un tour de passe-passe avec réitération) ? Un chapitre sur « le mythe de l’éternel retour » (c’est la plaisanterie classique des surveillants qui diraient « Au revoir ! » aux libérés) décortique et critique les statistiques pour comprendre ce qu’il en est véritablement, tout en étant conscient que « nos connaissances sur devenir judiciaire des sortants de prison sont insuffisamment développées en France ».

En cinq parties, l’ouvrage aborde les différents aspects de la peine de privation de liberté, et termine par la question que pose l’enfermement en démocratie. Beaucoup de thèmes sont abordés, comme celui de la surpopulation carcérale, que personne n’a étudié aussi bien que l’auteur qui différencie la surpopulation apparente, les détenus en surnombre, explique en un chapitre très didactique comment distinguer les cas de figure, les conséquences également, mais aussi à quel point les situations observées correspondent (ou non) aux dispositions législatives ou aux règles internationales. L’auteur tient (et diffuse) depuis plusieurs années des statistiques régulières et raisonnées des places opérationnelles, des places inoccupées, des détenus dormant sur des matelas posés à même le sol qui lui permettent d’étayer ce chapitre.  L’inflation des pratiques d’incarcération n’est pas une solution nous explique-t-il, pas plus que ne sont pertinents des discours abolitionnistes qui ignorent « le jour d’après », le lendemain de la suppression des prisons, et dont un singulier florilège nous est fourni (dont je ne peux m’empêcher de citer « Car jamais ne cesseront l’oppression ni la barbarie de la vie en société » d’une thuriféraire de toutes les abolitions – de l’école, de la psychiatrie, de la prison). Et c’est bien pour penser la prison à partir de la réalité que ce livre a été écrit. Le sous-titre, « Une nécessité pour la République », dit de prime abord que l’auteur n’est pas dupe mais il insiste pour que, précisément, c’est au cœur de celle-ci que doit s’inscrire l’ensemble du processus de la peine. Et s’il ne nous explique pas que les prisons françaises sont les pires du monde, c’est bien parce qu’il connait l’état de la plupart des autres systèmes pénitentiaires.

Les passages sans doute les plus importants sont ceux qui situent au sein d’une société qui évolue la dynamique qui court de l’acte dont est jugé l’éventuel auteur (présumé innocent) jusqu’à la réinsertion. Un singulier tableau nous fait comprendre comment il peut y avoir de plus en plus de personnes en prison, et (parfois) de moins en moins de personnes qui y entrent. C’est la distinction que font les démographes entre flux et stocks qui permet de montrer comment, au début des années 1980, nous sommes passés d’une inflation carcérale du fait du flux des entrées à une inflation d’un autre modèle, due à la durée du temps passé sous écrou et, surtout, que ce qui apparaît insupportable dans notre société et qui est véritablement réprimé. Le 1er janvier 1970, la moitié (49,4%) des détenus condamnés sous écrou l’était pour vol simple ; 42 ans plus tard, ce n’est le cas que de 7,5%. En revanche, la part de détenus condamnés sous écrou (chaque mot, insiste Tournier, compte) passe dans le même temps de 7,4% à 13,4% pour des viols, agressions, atteintes sexuelles, de 5,1% à 26,5% pour des violences volontaires. A l’évidence, le monde carcéral n’est plus le même aujourd’hui qu’à l’époque de Michel Foucault lorsque, en décembre 1971, le Groupe information sur les prisons s’appuyait sur les scandales de l’aire pompidolienne pour asséner : « Qui vole un pain va en prison, qui vole des millions va au Palais-Bourbon[1] ». Les heureux lecteurs de son hebdomadaire électronique, Arpenter le champ pénal (auquel chacun peut s’abonner en le demandant à pierre-victor.tournier@wanadoo.fr), seront heureux de découvrir dans cet ouvrage une synthèse des analyses que livre chaque semaine Pierre Victor Tournier. Les autres gagneraient à lire le livre de celui qui est devenu le meilleur connaisseur du système pénitentiaire, peut-être tout simplement parce qu’il est capable de se poser des questions. Et de tenter d’y répondre.

Christian Chevandier
professeur d'histoire contemporaine, Université du Havre 
 


[1] Sur le GIP, voir Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Le Groupe d’information sur les prisons. Archives d’une lutte, 1970-1970, Paris, Editions de l’IMEC, 2003.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire