lundi 31 décembre 2012

Politique pénale et pénitentiaire, retour sur mes vœux d’avril 2012


 
     Le 3 avril 2012, je publiais sur Plus Nouvel Obs.com, un texte intitulé « Questions pénales : ce que j'attends du PS s'il gagne la présidentielle » Aussi ai-je souhaité, en ce dernier jour de l’année 2012, revenir sur les 6 vœux que j’exprimais alors.

Pierre V. Tournier
  

1. - Assurer le développement, dans l’indépendance, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales

« Il faut poursuivre le travail que Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait initié en juillet 2001, en confiant à deux députés, Robert Pandraud (UMP) et Christophe Caresche (socialiste), le soin d’élaborer un projet d’Observatoire de la délinquance. L’objectif était de "disposer à terme d’un outil statistique apte à rendre compte de l’évolution réelle de la délinquance, de l’activité des services d’enquête et des suites données par l’institution judiciaire". Rattaché au ministère de l’Intérieur lors de sa création par Nicolas Sarkozy, l’OND s’est rapproché du projet initial en devenant ONDRP en janvier 2010, placé sous la tutelle du Premier ministre. Il reste à renforcer son personnel scientifique et à placer son conseil d’orientation (COR) sous l’autorité d’une personnalité consensuelle. »
 

    J’ai pu faire part de mes attentes lors d’entretiens avec Pierre Valleix, conseiller « Justice » du président de la République (23/7/12), Valérie Sagant, conseillère technique  au cabinet de la Ministre de la Justice chargée des politiques publiques, pénales et de la recherche évaluation (31/8/12) et Renaud Vedel, directeur-adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur (10/9/12). 

    Pour le moment, pas de changement à l’ONDRP.  Dès la nomination du Gouvernement de Jean-Marc  Ayrault,  Alain Bauer, président du  Conseil d’orientation (COR) de l’ONDRP  a présenté sa démission au Premier Ministre. Proche de l’ancien président de la République, Alain Bauer souhaitait ne pas gêner son ami Manuel Valls devenu ministre de l’Intérieur. Il reste à ce jour président par intérimaire du COR ; c’est à ce titre qu’il a présenté le rapport annuel 2012, lors de la conférence de presse du 20 novembre 2012 mais n’a plus réuni le Conseil  d’Orientation.  Le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur semblent avoir le plus grand mal à se mettre d’accord sur le nom du futur président du COR à soumettre au Premier Ministre. Cela devrait, semble-t-il,  être un membre du corps des inspecteurs de l’INSEE.
          
    Les changements significatifs devraient venir de l’heureuse initiative de Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale qui a proposé, à ses collègues, la mise en place d’une mission d’information sur « la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences ». Présidée par Jean-Yves Le Bouillonnec, cette mission a organisé de nombreuses auditions et devrait remettre son rapport en février 2013. Auditionné par la mission  (30/12/12), j’ai pu souligner la qualité du travail réalisé jusqu’à ce jour par Christophe Soullez, chef de l’ONDRP et Cyril Risk, attaché principal de l’INSEE et maître d’œuvre des statistiques de l’Observatoire, insistant aussi sur la nécessité de voir, enfin, le Ministère de la Justice « jouer le jeu » et s’investir davantage dans cette œuvre  commune.           


2. - Soutenir la recherche scientifique et l’enseignement en criminologie dans les universités

« Le débat public sur la violence ou la récidive le montre bien : tenter de savoir et de comprendre pour agir est la seule façon de lutter contre toutes les formes de démagogie et d’instrumentalisation. Le soutien que nous attendons des pouvoirs publics doit tenir compte de la nature même de la criminologie : "étude du phénomène criminel et des réponses que la société lui apporte ou pourrait lui apporter". La criminologie n’est pas une discipline scientifique en soi mais un espace de confluence entre le droit, les sciences de la société, les sciences du psychisme, la criminalistique et la philosophie.

Le sectarisme entre disciplines et la politisation à l’extrême du champ, dans notre pays, représentent les principaux obstacles à son développement. Là aussi, c’est important les modérés. »

     En fin de quinquennat, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du Gouvernement de François Fillon avait décidé de créer une section de criminologie au sein du Conseil National des Universités (CNU). Sollicité pour en être membre, j’avais refusé l’offre  contestant la procédure « à la hussarde », menée sans réelle  concertation.  Aussi, l’arrêté du 13 février 2012 portant création de cette 75ème section a-t-il été abrogé par la nouvelle ministre le 6 août 2012.  J’ai logiquement approuvé cette décision. Reçu à la demande de Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par son conseiller technique chargé des sciences humaines et sociales (SHS), Jacques Fontanille (25/9/12),  j’ai eu le sentiment de bénéficier d’une excellente écoute et de faire partager mon point de vue. Pas de nouvelles depuis,  les résultats des « Assises nationales de l’enseignement supérieur », publiés le 17 décembre 2012,  faisant aucune mention de la criminologie.

    Je tenais à saluer l’initiative de mes collègues  Olivier Cahn, directeur du Centre d’études et de recherches en sciences criminelles de l’Université Cergy - Pontoise et  Xavier Pin, co-directeur du Centre de droit pénal de l’Université Jean-Moulin Lyon 3 qui ont décidé de relancer le débat sur la criminologie. Ainsi  organisent-ils une première rencontre à Cergy-Pontoise, le 28 janvier 2013, sur  le thème « Revaloriser la criminologie en France », et ce dans le cadre la Conférence pluridisciplinaire des directeurs de centres de recherches et de diplômes en criminologie. C'est avec une certaine satisfaction que j’ai accepté  l’invitation qui m’a été faite d’intervenir dans ce cadre, reprenant ainsi le débat laissé en plan, à la suite du colloque que j'avais organisé le 3 février  2009 au siège du CNRS. J'y avais alors proposé  la création d'une  Conférence Universitaire de Criminologie (CUC), sans être suivi… sur le moment...  

   Entre temps, j’ai continué à appliquer, avec nombre de partenaires, les principes que je défends, dans mes enseignements en criminologie à l’Université Paris 1 (en coopération avec l’APCARS), depuis 6 ans,  et à l’Ecole nationale supérieure de Police (ENSP), depuis cette année. 
 

3. - En finir avec la primauté de l’emprisonnement

« La place de la prison dans la façon de sanctionner les délits est paradoxale : elle représente 52% des sanctions, mais plus 6 sur 10 sont prononcées avec un sursis total (2009). La prison est la sanction de référence, sans l’être (sursis) tout en l’étant (risque de révocation du sursis).

Aussi proposons-nous de mettre au cœur du système une nouvelle sanction : "la contrainte pénale communautaire" (CPC). Contrairement au sursis, la contrainte pénale communautaire se définirait sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme "épée de Damoclès" qui pourrait, en définitive, être appliqué, mais par un temps de probation vécu "dans la communauté" (de 1 an à 3 ans). La CPC pourrait comporter des obligations, des interdits et des mesures de surveillance. Ces conditions, précisées par la juridiction et/ou par le juge de l’application des peines (JAP), pourraient être modifiées par le JAP au cours de la période de contrainte. »


     Cette proposition que j’ai popularisée de multiples façons depuis 2006, puis plus  récemment  pendant la campagne présidentielle  sur Plus Nouvel Obs.com, et  dernièrement par l’appel du 1er juin 2012  « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement : Mettre au centre de l’échelle des peines la contrainte pénale communautaire » (CPC) a rencontré un franc succès. Reprise par le groupe dit de Créteil animé par Jean-Claude Bouvier, Valérie Sagant et Pascale Bruston,  cette proposition est devenue centrale dans le discours de la Garde des Sceaux, sous le vocable de « nouvelle probation » : «  Je suis absolument persuadée qu'il faut construire cette peine de probation en France » (25/6/12). J’ai pu m’en entretenir longuement avec Christiane Taubira (2/7/12), la ministre acceptant alors mon invitation à intervenir lors du colloque organisé, sur la CPC,  par DES  Maintenant en Europe, au Sénat (6/10/12), colloque auquel la Ministre a assisté en son entier, accompagnée de quatre de ses conseillers.  
 

4. - Mettre en place un secrétariat d’Etat à l’exécution des mesures et sanctions pénales

« Placé sous l’autorité du garde des Sceaux, son champ de compétence couvrirait toutes les mesures et sanctions pénales : mesures et sanctions carcérales, mesures et sanctions appliquées "dans la communauté", c’est-à-dire non carcérales mais accompagnées d’une "supervision", mesures non carcérales sans supervision comme l’amende ou le sursis simple. Le titulaire d’une telle fonction devrait avoir l‘autorité politique que seul confère le suffrage universel et la technicité nécessaire dans un tel domaine.

En relation avec l’ONDRP et la recherche universitaire, il veillerait à la mise en place des instruments d’évaluation et de prospective qui font aujourd’hui défaut en matière de mise à exécution comme d’exécution de l’ensemble des mesures et sanctions pénales et de récidive, au sens large du terme. »


     J’ai cru  avoir été entendu, sur ce point aussi, en apprenant la nomination de Delphine Batho, comme ministre déléguée auprès de la Ministre de la Justice. Représentante  de la « gauche d’autorité » à laquelle je m’identifie, Delphine Batho souhaitait avoir effectivement la responsabilité de l’exécution des mesures et sanctions pénales. Je la rencontrai à sa demande (24/5/2012) : la Ministre déléguée envisageait de constituer un petit groupe de scientifiques sur lequel elle aurait pu s’appuyer pour intégrer les apports de la recherche à la définition des politiques publiques dans son champ de compétences.  Idée peu banale ! Hélas, ne s’entendant pas avec la Garde des Sceaux, sur le partage de compétences, Delphine Batho sera nommée ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, le 21 juin 2012, après les élections législatives … et ne sera pas remplacée, place Vendôme.        

   Je reste persuadé que cette fonction ministérielle spécifique est une nécessité si le Gouvernement veut mener à bien les réformes pénales nécessaires qui devraient être formulées à la suite de la mission  d’information, présidée par Dominique Raimbourg, sur les moyens de lutter  contre la surpopulation carcérale et de la conférence de consensus sur le prévention de la récidive.  Surtout quand on pense au caractère pléthorique du gouvernement Ayrault : 38 membres  dont certains ont une utilité discutable.        
 

5. - Mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l’Europe

« Nous pensons, bien entendu, à l’ensemble des règles pénitentiaires européennes (RPE), adoptées le 11 janvier 2006 par le Conseil de l’Europe, mais aussi aux règles européennes en matière de mesures et sanctions appliquées dans la communauté, adoptées le 20 janvier 2010, règles que les gouvernements de droite n’ont même pas pris la peine de diffuser comme la France s’y était engagée, à Strasbourg.

Mais le prochain Garde des Sceaux devrait aussi s’inspirer de deux recommandations plus anciennes portant sur des questions qui restent malheureusement d’actualité et dont nous avions été co-rédacteur : recommandations du 30 septembre 1999 sur "le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale" et du 24 septembre 2003 sur "la libération conditionnelle". »


    Là encore, j’attends, avec une impatience certaine, les conclusions de la mission  d’information, sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale et celles de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Lors de mon audition par la mission présidée par Dominique Raimbourg (7/11/12), j’ai beaucoup insisté  sur l’importance de ces recommandations de Conseil de l’Europe. La délégation de DES Maintenant en Europe constituée de Jean-Pierre Dintilhac, président de chambre honoraire à la Cour de Cassation,  Hubert Bouyer, DSPIP honoraire et moi-même qui sera auditionnée par le comité d’organisation de la conférence de consensus (9/1/13) en fera de même. Ces recommandations  seront aussi au cœur de mes réponses à la question  « Quels sont les conditions d’une détention utile ?) qui m’a été posée en vue des auditions publiques de la conférence de consensus (15/2/13).
 

6. - Se donner les moyens de faire respecter la dignité de la personne en détention

« Cela passe par l’encellulement individuel dont le principe avait été réaffirmé dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Reste à passer du principe à la réalité. Le dépassement de capacité doit être interdit (numerus clausus pénitentiaire). Les capacités doivent être redéfinies sur la base de la règle de vie suivante : la journée de détention doit se passer hors de la cellule, dans des lieux de vie : en ateliers, dans les locaux de formation générale ou professionnelle ou les lieux d’activités culturelles ou sportives, ou les espaces de promenade, dans les lieux de soins, les lieux de pratique religieuse, les parloirs, etc.

Enfin, deux points essentiels de la loi pénitentiaire doivent être revus : l’obligation d’activité pour le condamné prévue à l’article 27 doit être remplacée par une obligation, pour l’administration pénitentiaire, de proposer une activité à chaque détenu ; l’article 29 qui prévoit, timidement, que "les personnes détenues sont consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées" doit être remplacé par un véritable droit à l’expression collective des détenus sur l’organisation de la détention, en particulier par la mise en place, comme dans nombre de pays européens, de "comités consultatifs de détenus". »


    A notre connaissance, le rapport élaboré par  Cécile Brunet Ludet, magistrate chargée, au sein de l’administration pénitentiaire, d’une expérience pilote en matière d’expression collective des personnes détenues n’a toujours pas été rendu public. C’est inacceptable.

     De même, l’administration pénitentiaire continue à se refuser de publier les chiffres de la surpopulation carcérale, me laissant le soin de le faire sur la base des informations qu’elle me fournit chaque mois.

Nombre record de personnes détenues au 1er décembre 212

* Au 1er décembre 2012, le nombre de personnes sous écrou est de 78 082 (France entière) : 16 945  prévenus détenus, 50 729 condamnés détenus (soit 67 674 personnes détenues), 9 251 condamnés placés sous surveillance électronique en aménagement de peine, 589 condamnés placés sous surveillance électronique en fin de peine et 568 condamnés en placement à l’extérieur, sans hébergement pénitentiaire. Le taux de placement sous écrou est de  119 pour 100 000 habitants et le taux de détention de  104 pour 100 000 habitants.

* Le nombre de personnes sous écrou connaît une augmentation sur douze mois (3 974 personnes sous écrou  de plus, taux d’accroissement  annuel de  + 5,4 %).  L’effectif atteint le  1er décembre (78 082)  reste légèrement inférieur au record  absolu du 1er  juillet 2012 (78 262).

* Le nombre de détenus est lui aussi en augmentation  (2 412 détenus de plus sur les 12 derniers  mois, taux d’accroissement annuel de + 3,7 %). L’effectif atteint le 1er décembre   (67 674) est un record  absolu (dernier record : 67 373 au 1er juillet 2012).

* Au cours des 12 derniers mois,  le nombre de places opérationnelles en détention est passé de  57 255 à 56 953 (soit 302 places de moins en un an, taux d’accroissement  annuel de  - 0,5 %). Le nombre de détenus en surnombre est 13 007. Il est en hausse  sur un an (11 591, il y a douze mois, soit 1 416 de plus, taux d’accroissement annuel de + 12 %). Cet indice mesure l’état de surpopulation en tenant compte de la situation de chaque établissement, de chaque quartier pour les centres pénitentiaires. Sur la période « 2004-2012 », le maximum fut observé le 1er juin 2004 avec un nombre de détenus en surnombre de 16 086 et le minimum, le 1er août 2006, avec un nombre de détenus en surnombre de 7 717.

Plus de 13 000 détenus en surnombre. Au 14 décembre 2012, 764 personnes détenues dormaient sur un matelas posé à même le sol, un record depuis deux ans.  Ce n’est pas admissible.

***
 
 Règle pénitentiaire européenne n°4 : «  Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme »   

Paris, le 31 décembre 2012
 
Pierre V. Tournier

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