Lu dans Le
Monde (21 août 2012). « Probation : la méthode Taubira pour
vider les prisons ; un débat est annoncé à l’automne autour des moyens
pour limiter la récidive des délinquants ».
[…] La prochaine polémique risque néanmoins de s’appeler la probation ou
« contrainte pénale communautaire ».
1. - A lire la presse ces derniers temps, on pourrait avoir
l’impression que la “probation” n’existe pas en France. Et pourtant en 2010, sur
581 867 peines prononcées, par les juridictions de jugement en matière
correctionnelle (délits), on compte 28 889 peines d’emprisonnement avec sursis
partiel et mises à l’épreuve (peines mixtes), 55 584 peines d’emprisonnement
avec sursis total et mises à l’épreuve, auxquelles il faut ajouter 9 301 peines
d’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve accompagnée d’un travail
d’intérêt general (TIG) (OPALE). Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est
généralement appelé “sursis probatoire”, c’est la “probation à la française”. Ce
sursis probatoire a été créé en 1958.
2. - Les
condamnés bénéficiant d’un sursis probatoire sont suivis - autant que faire se
peut - dans les services penitentiaires d’insertion et de probation,
(SPIP) par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.
Au 1er janvier 2012, sur les 246 843 personnes placées sous main de justice,
64 787 sont en détention, 8 993 sont sous écrou sans être détenus et
173 063 ne sont pas sous écrou (OPALE). Parmi ces derniers, environ
144 000 font l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve auquel il faudrait
ajouter les SME avec un travail d’intérêt général dont on ne connait pas le nombre exact (environ 12 000). Ainsi
au 1er janvier 2012, pour 1 personne détenue, il y a 2,4 personnes
exécutant un sursis probatoire.
3. - Faut-il rappeler
ce qu’est, concrètement, le sursis avec mise à l’épreuve ? Etre condamné à
6 mois d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve de 18 mois,
c’est, en premier lieu être condamné à 6 mois d’emprisonnement ; mais
c’est aussi bénéficier d’un sursis à exécution. La peine de prison peut ne pas
être exécutée, à condition que le condamné respecte un certain nombre de
règles : pendant ce délai d’épreuve de 18 mois, il ne doit pas être de
nouveau condamné et doit respecter les interdits, obligations et mesures de
contrôles définies par la juridiction de jugement et/ou le juge de
l’application des peines (JAP). Si ce n’est pas le cas, le sursis pourra être
révoqué et la peine de 6 mois effectivement exécutée en détention.
4. - Ce
sursis avec mise à l’épreuve n’est qu’un exemple de ce que le Conseil de
l’Europe appelle la probation. Dans la recommandation du 21 janvier 2010 qui
lui est consacrée, la probation est définie ainsi : « l’exécution en milieu ouvert de
sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur
d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions,
qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer
socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la
sécurité collective ».
Cette
définition est distincte de celle de sanctions et mesures appliquées dans la
communauté (SMC), rappelée dans la même
recommandation : « sanctions
et mesures qui maintiennent l’auteur d’infraction dans la communauté et
impliquent certaines restrictions de liberté par l’imposition de conditions
et/ou d’obligations. L’expression désigne les sanctions décidées par une
autorité judiciaire ou administrative et les mesures prises avant la décision
imposant la sanction ou à la place d’une telle décision, de même que les
modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement hors d’un établissement
pénitentiaire. »
La définition des SMC parle de
« restrictions de liberté », la définition de la probation insiste
sur « les activités et interventions, qui impliquent suivi, conseil et
assistance ».
5. - Depuis
2006, nous militons pour la création d’une nouvelle sanction appliquée dans la
communauté, une nouvelle probation (1) que nous avons décidé, en novembre 2011,
d’appeler “La contrainte pénale communautaire” (CPC) (2). Et
c’est pour en assurer le promotion que nous avons diffusé l’appel de 1er
juin signé par 150 parlementaires,
chercheurs, universitaires, magistrats, fonctionnaires pénitentiaires,
militants politiques, syndicaux et associatifs, etc.
Rappelons
les points principaux de notre proposition
(3) :
* Contrairement au sursis
simple ou au sursis avec mise à l’épreuve […], la contrainte pénale communautair (CPC) se définit sans référence à un
quantum d’emprisonnement ferme « épée de Damoclès » qui pourrait, en
définitive, être appliqué, mais par un temps de probation vécu « dans la
communauté ». Le code pénal précisera, pour chaque délit concerné, la
durée maximale de la période de la contrainte (de 6 mois à 3 ans).
* La CPC pourra comporter
des obligations, des interdits et des mesures de surveillance. Ces conditions
sont précisées par la juridiction et/ou par le juge de l’application des
peines. Elles pourront être modifiées par le juge de l’application des
peines au cours de la période de contrainte.
Pour les obligations, les interdits et les mesures de surveillance, il suffira de s’inspirer de l’existant, par
exemple, en matière de mise à l’épreuve.
[…].
* Si le condamné ne respecte
pas les conditions de la CPC, il sera
de nouveau jugé, sans préjudice de la nature de la nouvelle sanction. Cela
pourra être une sanction privative de liberté. Lors de cette nouvelle audience,
le tribunal ne reviendra pas sur la question de la culpabilité et de la
qualification des faits.
* En
plein accord avec la recommandation du
Conseil de l’Europe sur les règles relatives
à la probation (20 janvier 2010), la CPC ne sera pas faite uniquement
de mesures de contrôle, d’obligations et d’interdits, mais aussi de procédures
d’aide et d’assistance. Sur le plan social, la « supervision » doit
surtout permettre de faciliter l’accès
du condamné aux prestations sociales et aides de droit commun.
* La création de cette
nouvelle sanction permettra d’abandonner le sursis simple, le sursis avec mise
à l’épreuve, le Travail d’intérêt générale peine principale, le jour-amende. De ce fait, la CPC pourra, à
terme représenter au moins 50 % des sanctions prononcées en matière de délits.
6. - Cette idée de nouvelle
probation a été, semble-t-il, reprise par le groupe de travail constitué en
janvier 2012, et coordonné par Jean-Claude Bouvier, JAP au TGI de Créteil et
Valérie Sagant vice-présidente
du TGI de Créteil chargée de l'application des peines et, depuis le 1er juin 2012, conseillère
au cabinet de Christiane Taubira. Notre expression de “contrainte pénale communautaire”
n’a pas été reprise par le groupe et aucune référence à nos travaux sur le
sujet n’est faite.
7. - La question se pose
alors de savoir si nous parlons bien de la même chose. Dans le manifeste du groupe de Créteil, “Pour un peine juste et efficace” mise en
ligne par Libération le 13 juin 2012
et que nous avons d’ailleurs signé (4), on peut lire ceci : “nous
devons tout d’abord créer en France une véritable peine de probation aux lieu
et place de l’emprisonnement”. Cette formule nous parait ambigue car la
distinction avec le SME n’est pas explicitée. Le groupe de Créteil a aussi rédigé
un rapport intitulé “Prévention de la
récidive : sortir de l’impasse. Pour une politique pénale efficace, innovante
et respectueuse des doits”, mis en ligne par Libération, le 13 juin 2012 (5)
Dans ce rapport il est question de créer “une peine de probation autonome dissociée de l’emprisonnement” […].
“ La peine de probation serait prononcée
par le tribunal. Elle constituerait une peine alternative à l’incarcération
unique et autonome et se substituerait aux actuelles mesures alternatives
existant actuellement (sic) dans la
législation française.
Au stade de la condamnation, seule la durée de la peine de probation
serait fixée, de même que l’emprisonnement encouru en cas de non respect”. Avec ce second morceau de phrase, on ne voit pas clairement la différence
avec la probation actuelle (à la française), c’est-à-dire le sursis avec mise à
l’épreuve.
[…] “L’inexécution de la peine de probation ou le manquement aux conditions
de la peine conduirait l’intéressé à comparaître devant la juridiction de
l’application des peines. La décision
pourrait soit renforcer le contrôle, soit conduire à l’incarcération
pour une durée équivalente à celle prévue par le code pénal pour la répression
du délit initial”. Toujours pas très clair.
Cela signifie-t-il qu’un condamné pour vol
à un an de probation se verra rappeler, lors du jugement, qu’il encourt une
peine de 3 ans d’emprisonnement (la peine maximale prévue par le code pénal) en
cas de non respect des conditions, peine maximale qui pourra – sans
automatisme - alors être proncée par le tribunal de l’application des peines ?
Si c’est cela, on n’est vraiment pas loin de la Contrainte pénale communautaire et nous pourrions alors conjuguer nos efforts pour la creation de cette nouvelle sanction, mais, pour notre part, sans se faire d’illusion sur les effets, à court terme, sur la surpopulation des prisons. Nous y reviendrons…
Pierre V.
Tournier
(1) Tournier P.V., « Réformes
pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elle, DES Maintenant en
Europe, 2006, propositions n°16 et 17. Tournier P./V., Loi pénitentiaire, contexte et enjeux », L’Harmattan, p. 100
« La prison à sa juste place »
(2) Tournier P.V. « Pour en finir avec la primauté de
l’emprisonnement. Mettre au centre de
l’échelle des sanctions « la contrainte pénale communautaire », Arpenter
le Champ Pénal, n°250, 21 novembre 2011.
(3) Appel du 1er juin 2012, « Pour en finir avec la
primauté de l’emprisonnement. Mettre au centre de l’échelle des peines la
contrainte pénale communautaire (C.P.C), en ligne sur http://pierre-victortournier.blogspot.fr/
blog et sur Plus Nouvel Obs : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/567361-prisons-finissons-en-avec-l-emprisonnement-a-tout-prix.html
(5) http://m0.libe.com/pointer/2012/ 06/13/ Sortir_de_
limpasse. Pdf