mardi 4 septembre 2012

Probation, contrainte pénale communautaire : le sens des mots


    Lu dans Le Parisien (20 août 2012). « Réduire la population carcérale en encourageant les alternatives à la prison, créatrice de récidive selon Christine Taubira. Voilà le sens du projet sur lequel planche la garde des Sceaux. Elle doit présenter début septembre le résultat des réflexions menées avec les acteurs de la chaîne judiciaire. Elle pourrait notamment annoncer la création d’une peine de probation, sorte de mise à l’épreuve qui permettrait à un délinquant jugé réinsérable d’échapper à l’incarcération contre le suivi d’un certain nombre d’obligations ».

    Lu dans Le Monde  (21 août 2012). « Probation : la méthode Taubira pour vider les prisons ; un débat est annoncé à l’automne autour des moyens pour limiter la récidive  des délinquants ». […] La prochaine polémique risque néanmoins de s’appeler la probation ou « contrainte pénale communautaire ».  

1. -  A lire la presse  ces derniers temps, on pourrait avoir l’impression que la “probation” n’existe pas en France. Et pourtant en 2010, sur 581 867 peines prononcées, par les juridictions de jugement en matière correctionnelle (délits), on compte 28 889 peines d’emprisonnement avec sursis partiel et mises à l’épreuve (peines mixtes), 55 584 peines d’emprisonnement avec sursis total et mises à l’épreuve, auxquelles il faut ajouter 9 301 peines d’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve accompagnée d’un travail d’intérêt general (TIG) (OPALE). Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est généralement appelé “sursis probatoire”, c’est la “probation à la française”. Ce sursis probatoire a été créé en 1958.

2. - Les condamnés bénéficiant d’un sursis probatoire sont suivis - autant que faire se peut - dans les services penitentiaires d’insertion et de probation, (SPIP) par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Au 1er janvier 2012, sur les 246 843 personnes placées sous main de justice, 64 787 sont en détention, 8 993 sont sous écrou sans être détenus et 173 063 ne sont pas sous écrou (OPALE). Parmi ces derniers, environ 144 000 font l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve auquel il faudrait ajouter les SME avec un travail d’intérêt général dont on ne connait  pas le nombre exact (environ 12 000). Ainsi au 1er janvier 2012, pour 1 personne détenue, il y a 2,4 personnes exécutant un sursis probatoire. 

3. - Faut-il rappeler ce qu’est, concrètement, le sursis avec mise à l’épreuve ? Etre condamné à 6 mois d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve de 18 mois, c’est, en premier lieu être condamné à 6 mois d’emprisonnement ; mais c’est aussi bénéficier d’un sursis à exécution. La peine de prison peut ne pas être exécutée, à condition que le condamné respecte un certain nombre de règles : pendant ce délai d’épreuve de 18 mois, il ne doit pas être de nouveau condamné et doit respecter les interdits, obligations et mesures de contrôles définies par la juridiction de jugement et/ou le juge de l’application des peines (JAP). Si ce n’est pas le cas, le sursis pourra être révoqué et la peine de 6 mois effectivement exécutée en détention.         

4. - Ce sursis avec mise à l’épreuve n’est qu’un exemple de ce que le Conseil de l’Europe appelle la probation. Dans la recommandation du 21 janvier 2010 qui lui est consacrée, la probation est définie ainsi : « l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ».

Cette définition est distincte de celle de sanctions et mesures appliquées dans la communauté (SMC), rappelée dans la même  recommandation : « sanctions et mesures qui maintiennent l’auteur d’infraction dans la communauté et impliquent certaines restrictions de liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations. L’expression désigne les sanctions décidées par une autorité judiciaire ou administrative et les mesures prises avant la décision imposant la sanction ou à la place d’une telle décision, de même que les modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement hors d’un établissement pénitentiaire. »

La définition des SMC parle de « restrictions de liberté », la définition de la probation insiste sur « les activités et interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance ».

5. - Depuis 2006, nous militons pour la création d’une nouvelle sanction appliquée dans la communauté, une nouvelle probation (1) que nous avons décidé, en novembre 2011, d’appeler “La contrainte pénale communautaire(CPC) (2). Et c’est pour en assurer le promotion que nous avons diffusé l’appel de 1er juin  signé par 150 parlementaires, chercheurs, universitaires, magistrats, fonctionnaires pénitentiaires, militants politiques, syndicaux et associatifs, etc.    

Rappelons les points principaux de notre proposition  (3) :

* Contrairement au sursis simple ou au sursis avec mise à l’épreuve […], la contrainte pénale communautair (CPC) se définit sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme « épée de Damoclès » qui pourrait, en définitive, être appliqué, mais par un temps de probation vécu « dans la communauté ». Le code pénal précisera, pour chaque délit concerné, la durée maximale de la période de la contrainte (de 6 mois à 3 ans).    

* La CPC pourra comporter des obligations, des interdits et des mesures de surveillance. Ces conditions sont précisées par la juridiction et/ou par le juge de l’application des peines. Elles pourront être modifiées par le juge de l’application des peines  au cours de la période de contrainte. Pour les obligations, les interdits et les mesures de surveillance,  il suffira de s’inspirer de l’existant, par exemple,  en matière de mise à l’épreuve. […]. 

* Si le condamné ne respecte pas les conditions de la CPC, il sera de nouveau jugé, sans préjudice de la nature de la nouvelle sanction. Cela pourra être une sanction privative de liberté. Lors de cette nouvelle audience, le tribunal ne reviendra pas sur la question de la culpabilité et de la qualification des faits.

* En plein accord avec la recommandation du Conseil de l’Europe sur les règles relatives  à  la probation (20 janvier 2010), la CPC ne sera pas faite uniquement de mesures de contrôle, d’obligations et d’interdits, mais aussi de procédures d’aide et d’assistance. Sur le plan social, la « supervision » doit surtout permettre de faciliter l’accès  du condamné aux prestations sociales et aides de droit commun.

* La création de cette nouvelle sanction permettra d’abandonner le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve, le Travail d’intérêt générale peine principale,  le jour-amende. De ce fait, la CPC pourra, à terme représenter au moins 50 % des sanctions prononcées en matière de délits.

6. - Cette idée de nouvelle probation a été, semble-t-il, reprise par le groupe de travail constitué en janvier 2012, et coordonné par Jean-Claude Bouvier, JAP au TGI de Créteil et Valérie Sagant vice-présidente du TGI de Créteil chargée de l'application des peines et, depuis le 1er  juin 2012, conseillère au cabinet de Christiane Taubira. Notre expression de “contrainte pénale communautaire” n’a pas été reprise par le groupe et aucune référence à nos travaux sur le sujet n’est faite.

7. - La question se pose alors de savoir si nous parlons bien de la même chose.  Dans le manifeste du groupe de Créteil, “Pour un peine juste et efficace” mise en ligne par Libération le 13 juin 2012 et que nous avons d’ailleurs signé (4), on peut lire ceci :  nous devons tout d’abord créer en France une véritable peine de probation aux lieu et place de l’emprisonnement”. Cette formule nous parait ambigue car la distinction avec le SME n’est pas explicitée. Le groupe de Créteil a aussi rédigé un rapport intitulé “Prévention de la récidive : sortir de l’impasse. Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des doits”, mis en ligne par Libération, le 13 juin 2012 (5)  Dans ce rapport il est question de créer “une peine de probation autonome dissociée de l’emprisonnement” […]. “ La peine de probation serait prononcée par le tribunal. Elle constituerait une peine alternative à l’incarcération unique et autonome et se substituerait aux actuelles mesures alternatives existant actuellement (sic) dans la législation  française.  

Au stade de la condamnation, seule la durée de la peine de probation serait fixée, de même que l’emprisonnement encouru en cas de non respect”. Avec ce second morceau de phrase, on ne voit pas clairement la différence avec la probation actuelle (à la française), c’est-à-dire le sursis avec mise à l’épreuve.

[…] “L’inexécution de la peine de probation ou le manquement aux conditions de la peine conduirait l’intéressé à comparaître devant la juridiction de l’application des peines. La décision  pourrait soit renforcer le contrôle, soit conduire à l’incarcération pour une durée équivalente à celle prévue par le code pénal pour la répression du délit initial”. Toujours pas très clair.  

Cela signifie-t-il qu’un condamné pour vol à un an de probation se verra rappeler, lors du jugement, qu’il encourt une peine de 3 ans d’emprisonnement (la peine maximale prévue par le code pénal) en cas de non respect des conditions, peine maximale qui pourra – sans automatisme - alors être proncée par le tribunal de l’application des  peines ?
    
Si c’est cela, on n’est vraiment pas loin de la Contrainte pénale communautaire et nous pourrions alors conjuguer nos efforts pour la creation de cette nouvelle sanction, mais, pour notre part, sans se faire d’illusion sur les effets, à court terme, sur la surpopulation des prisons. Nous y reviendrons…     

Pierre V. Tournier

(1) Tournier P.V., «  Réformes pénales, deux ou trois choses que j’attends d’elle,  DES Maintenant en Europe, 2006, propositions n°16 et 17.  Tournier P./V.,  Loi pénitentiaire, contexte et enjeux », L’Harmattan, p. 100 « La prison à sa juste place »

(2)  Tournier P.V.  « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement. Mettre au centre de l’échelle des sanctions « la contrainte pénale communautaire », Arpenter le Champ Pénal, n°250, 21 novembre 2011.

(3) Appel du 1er juin 2012, « Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement. Mettre au centre de l’échelle des peines la contrainte pénale communautaire (C.P.C), en ligne sur  http://pierre-victortournier.blogspot.fr/ blog et sur Plus Nouvel Obs :  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/567361-prisons-finissons-en-avec-l-emprisonnement-a-tout-prix.html  


(5) http://m0.libe.com/pointer/2012/ 06/13/ Sortir_de_ limpasse. Pdf